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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/110

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qu’on pût les vendre ou même les mettre en gage. Là était assis l’homme pour lequel — comme Stanley partit à la recherche de Livingstone — il avait entrepris ce voyage excentrique.

Le Docteur Hendry avait une chevelure semblable au plumet gris d’un chardon mûr. On s’attendait presque à voir les petites graines ailées s’envoler et flotter au vent. Mais d’autre part il était mieux tenu qu’on n’aurait pu s’y attendre. Cette impression venait peut-être de ce qu’il était étroitement boutonné jusqu’à la gorge, comme c’est, dit-on, l’habitude des affamés.

Après des années de rêverie dans un décor sordide, il était toujours perché plutôt qu’assis sur sa chaise poussiéreuse, dans une attitude inconsciemment délicate et dédaigneuse.

C’était un de ces hommes qui sont assez distraits pour paraître grossiers, mais qui, dès qu’ils reprennent conscience, deviennent presque péniblement polis. À la minute où il s’aperçut de la présence de Murrel, cette politesse le fit sauter sur ses pieds d’un mouvement saccadé, comme une marionnette très maigre suspendue à des fils de fer.

S’il chancela sous le compliment que lui fit Murrel en l’appelant Docteur, le sujet que le visiteur jeta sur le tapis l’enivra tout à fait. Comme il arrive aux hommes âgés, et surtout aux hommes déchus, il vivait dans le passé, et il lui sembla pendant un moment que le passé redevenait présent ; car cette chambre obscure, dans laquelle il était scellé et oublié comme un mort dans la tombe, entendait de nouveau une voix humaine demander des « couleurs de Hendry pour enluminures ».

Il se leva sur ses jambes maigres et vacillantes, et sans dire un mot se dirigea vers une planche, sur