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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/94

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lequel une ligne ténue mais bien tracée dessinait les plumes d’une aile d’oiseau. C’était sans doute une étude pour les ailes d’un ange, car quelques-unes de ces plumes étaient soulignées de touches d’un rouge flamboyant, qui semblait encore étinceler comme des flammes inextinguibles, même sur le croquis fané de cette page poussiéreuse.

Pour savoir à quel point Murrel inspirait confiance, il fallait connaître les sentiments d’Olive Ashley à l’égard de ce vieux bout de papier. Ce croquis inachevé avait été fait il y avait bien longtemps, quand elle était enfant, par un père qui était un homme remarquable à beaucoup d’égards, et spécialement un père remarquable.

C’était à lui qu’elle devait tout ce que ses premières notions du monde avaient de coloré. Toutes ces choses qui constituent la culture, et qui pour beaucoup n’apparaissent qu’à la fin de l’éducation, elle les possédait avant toute éducation. Certaines formes aiguisées, certaines couleurs lumineuses perçues dans son enfance lui servaient à mesurer combien le monde était déchu, et c’était là la raison cachée de son opposition maladroite à toute idée de progrès et de réforme. La seule souvenance de certains rayons onduleux d’argent ou de bandes dégradées de bleu-paon lui faisait battre le cœur, comme à d’autres le souvenir d’un amour perdu.

En même temps que ce précieux fragment, Murrel sortit de son portefeuille un papier plus neuf et plus brillant sur lequel était cette note : « Couleurs pour l’enluminure ancienne, de Hendry ; boutique dans Haymarket il y a quinze ans. Pas Hendry et Watson. — Se vendaient dans de petits pots de verre. — On les trouverait maintenant vraisemblablement plutôt en province qu’à Londres ».