Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/95

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Muni de ces armes, il fut porté contre le comptoir garni de « matériel pour artistes », coincé entre un gros bonhomme rebondi et une dame acharnée, féroce même. Le vieux rebondi était très lent, et la dame était très vive. Entre eux deux, la jeune femme préposée à la vente semblait un peu ahurie. Elle regardait par-dessus son épaule, pendant que ses mains s’agitaient fébrilement dans toutes les directions pour servir les clients, et les paroles irritées qu’elle lançait du coin de la bouche semblaient s’adresser à quelqu’un de tout différent, probablement derrière le comptoir.

— On ne peut tout avoir, murmura Murrel d’un air de résignation. Ce n’est guère le moment propice, les conditions idéales pour m’épancher sur la jeunesse d’Olive, sur ses rêveries au coin du feu, sur le chérubin flamboyant, ni même pour expliquer l’influence de son père sur le développement de son esprit. Mais alors, comment faire concevoir l’importance de tout ceci ? Et pourquoi me donner tant de mal ? Voilà ce que c’est que d’avoir l’esprit ouvert et de sympathiser avec des gens si dissemblables ! Quand je cause avec Olive, je sens que la justesse d’une nuance lui importe tout autant que la vérité ou l’erreur ; et un ton de rouge faux la choque comme une atteinte à l’honneur ou une entorse à la vérité. Mais quand je regarde cette vendeuse, je sens qu’elle a la conscience en repos, le soir, si elle n’a pas vendu six chevalets au lieu de six albums, ou répandu toute l’encre de Chine sur les clients qui lui demandaient de la térébenthine.

Il résolut de réduire sa première explication aux termes les plus simples, et de la développer ensuite s’il survivait. Serrant fortement le morceau de papier