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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/97

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contre l’absurdité des choses, une indignation qui avait besoin de rire pour ne pas pleurer. Il se pencha par dessus le comptoir d’une manière presque menaçante et dit :

— Où est Hendry ? Qu’avez-vous fait de Hendry ? Pourquoi ces réticences sinistres dès qu’on parle de Hendry ? Pourquoi détournez-vous la conversation sur les pastels ? Pourquoi vous dissimulez-vous derrière une barricade de craies à bon marché et de boîtes à couleurs en fer-blanc ? Pourquoi employez-vous l’encre rouge comme un leurre ? Qu’est-il arrivé à Hendry ? Où l’avez-vous caché ?

Il était sur le point d’ajouter d’une voix basse et sifflante : « Hendry, ou ce qui reste de lui », quand ses bons sentiments reprirent brusquement le dessus. La triste situation de cet automate ahuri remplit de honte l’esprit du brave garçon. Il s’arrêta au milieu d’une phrase, hésita, puis s’engagea dans une autre voie pour atteindre le même but. Plongeant rapidement la main dans sa poche, il en sortit un porte-cartes et demanda avec courtoisie, presque avec humilité, s’il pouvait voir le chef de rayon. Il remit sa carte à la jeune fille, et aussitôt eut un nouveau regret.

Il y avait un côté faible dans ce Murrel aux aspects si variés, un point par lequel on pouvait le déconcerter et le jeter hors de son assiette. Il redoutait tout ce qui lui rappelait brutalement et clairement les privilèges qu’il tenait de son rang social. Non pas qu’il ne fît jamais allusion à son rang. Dans les plus secrètes profondeurs de son âme, il n’en était peut-être même que trop conscient, mais à ses yeux, le seul moyen de le justifier était de l’ignorer. De plus, l’orgueil d’être né dans une famille en vue luttait en lui avec l’aspiration profonde de toutes les âmes