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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/29

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tout pour elle, nous vivons de cette vie misérable ; Paul n’en vivait plus, puisqu’il ne s’occupait plus des soins de ce bas monde. Comment vivait-il alors ? – Comme certaines personnes dont nous disons : Un tel n’est plus là ! c’est-à-dire il ne fait rien de ce qui peut m’aider ou m’intéresser. Nous ajoutons même : Pour moi, il ne vit plus. – Quant à saint Paul, loin de repousser la vie naturelle, il dit expressément ailleurs : « Maintenant que je vis dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Gal. 2,20), c’est-à-dire, je vis d’une vie nouvelle et toute différente de la vie vulgaire.
3. Et toutes ses paroles vont à consoler les Philippiens : Ne craignez pas, leur dit-il, que je puisse être dépouillé en perdant la vie puisque vivant même, je n’ai plus la vie présente, mais celle que Jésus-Christ voulait pour les siens. Dites-moi, l’homme qui méprise la nourriture autant que la faim et la soif, qui dédaigne dangers, santé, délivrance, vit-il encore de cette vie ? Celui qui ne possède rien ici-bas, et voudrait souvent faire le dernier sacrifice, s’il le fallait, sans jamais lutter pour sauver ses jours, celui-là vit-il de cette vie ? Bien sûr, non.
Mais il faut éclaircir ce point par un exemple évident. Voici un individu qui regorge de richesses, d’or, de serviteurs, mais qui n’en use jamais : avec toute sa fortune est-ce un riche ? Non. Supposez qu’il voie ses enfants, vagabonds et dissipateurs, semer son or au hasard, et qu’il n’en ait point souci ; ajoutez, si vous voulez encore, qu’on le frappe sans qu’il se plaigne : direz-vous qu’il est dans les richesses ? Non, quoi qu’il en soit le véritable propriétaire. – Tel était Paul : « Vivre, pour moi », dit-il, « c’est Jésus-Christ » ; si vous voulez connaître ma vie, c’est Lui seul !
« Et mourir m’est un gain ». Pourquoi ? Parce qu’alors je le connaîtrai de plus près dans sa beauté, et que même je serai avec lui. Mourir ainsi, est-ce autre chose que parvenir à la vie ? C’est tout le mal que feront sur moi ceux qui me tueront : ils m’enverront vers ma vie, ils me délivreront de celle-ci, qui ne me convient pas. – Mais quoi ? Tant que vous êtes ici-bas, n’êtes-vous pas à Jésus-Christ ? Tout au contraire, car : « Si demeurer plus longtemps dans ce corps mortel, fait fructifier mon travail, je ne sais que choisir (22) ».
Il prévient l’objection suivante : Si votre vie est ailleurs, pourquoi Jésus-Christ vous laisse-t-il ici-bas ? « C’est pour le fruit de mon travail », répond-il. Ainsi nous pouvons user même de la vie présente, mais comme il faut devant Dieu, et non comme la plupart des hommes. Il parle ainsi pour que personne ne calomnie la vie actuelle, et ne dise : Puisque nous n’avons rien à gagner ici-bas, pourquoi ne pas nous soustraire à l’existence par une mort volontaire ? Jamais, dit-il ; car nous avons à gagner même sur la terre, si nous ne vivons pas de cette vie, mais d’une autre bien plus digne. Quoi ! demandera quelqu’un : vivre en ce monde rapporte aussi son fruit ? Certainement, dit l’apôtre… Où sont maintenant les hérétiques[1]? Vous l’entendez : « Vivre dans la chair, c’est », dit-il, « produire du fruit par mon travail » ; Il a dit « de mon travail », mais comment vient ce fruit ? « Si je vis dans ma chair, je vis de la foi » : c’est de là que vient le fruit du travail.
« Et je ne sais que choisir ». Dieu ! quelle admirable philosophie ! Comme il avait abjuré tout désir de la vie présente, sans vouloir toutefois la calomnier ! D’un mot : « Mourir c’est un gain », il renonçait au désir ; par un autre mot : « Vivre dans la chair c’est fructifier par le travail », il montre aussitôt que la vie présente est une nécessité. Et comment ? Si nous en usons pour porter du fruit ; car si elle est stérile, elle n’est plus la vie. Un arbre qui ne porte point de fruit nous est un objet d’aversion tout comme un tronc sec, et nous le jetons au feu. Ainsi la vie est du nombre de ces biens neutres et indifférents : c’est à nous de la faire ou bonne ou mauvaise. Ne haïssons point la vie : car nous pouvons la mener noble et belle. Quand même d’ailleurs nous en userions mal, nous n’avons pas le droit de la calomnier. Pourquoi ? Parce que le crime n’est pas la vie, mais le choix de vie que font ceux qui abusent de la vie. Si Dieu vous accorde de vivre, c’est afin que vous viviez pour lui ; mais puisque vos vices s’accommodent d’une vie de péché, toute la responsabilité en retombe sur vous par votre fait.
Mais qu’ajoutez-vous, bienheureux Paul ? « Vous ne savez que choisir ? » Ce passage

  1. Les prédicateurs du suicide : il s’en rencontrait à cette époque qui le prêchaient au nom de la religion, comme il s’en voit aujourd’hui qui l’approuvent au nom de la raison.