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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/570

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précipite dans les périls, et qui tente, si Dieu la salivera ! – Moïse ne pouvait donc commander et défendre des compatriotes qui lui montraient, après son bienfait même, tant d’ingratitude. C’eût été sottise à lui et délire, que de rester parmi eux.
Moïse donna ces exemples, parce qu’il souffrait en voyant, pour ainsi dire, Celui dont la vue échappe à tout regard humain. Si donc, par l’esprit du moins, nous voyons Dieu ; si nous occupons constamment notre pensée de son doux souvenir, tout nous deviendra facile, tout supportable, tout endurable, enfin nous serons supérieurs à tout le monde. Car si la vue d’un ami ou seulement son souvenir vous rend le courage, élève votre âme bien haut, et vous fait tout supporter aisément, parle seul charme de son nom dans votre mémoire ; le chrétien, qui toujours applique sa pensée et tourne son souvenir vers Celui qui daigna nous aimer d’un amour si véritable, pourra-t-il jamais sentir même une impression pénible ou redouter quelque danger, quelque terreur ? Quand, en effet, aura-t-il un cœur abattu et pusillanime ? Jamais : car, si tout nous semble difficile, c’est parce que nous n’avons pas, comme il faudrait, le souvenir de Dieu, et que nous ne le portons pas continuellement dans notre pensée. Il a donc eu raison de nous dire : Vous m’avez oublié ; et moi aussi, je vous oublierai ; et c’est la double cause de notre malheur, d’oublier Dieu et d’être oubliés de Dieu. Voilà deux choses, en effet, qui sont intimement liées et dépendantes l’une de l’autre, mais qui sont deux néanmoins. Que Dieu nous garde un souvenir, c’est un bien infini ; mais c’est un bien efficace aussi, que nous gardions la mémoire de Dieu. Cet effort, de notre côté, nous pousse dans la voie de la vertu, nous y fait marcher et persévérer avec courage jusqu’au bout. Aussi le Prophète disait en ce sens : « Je me souviendrai de vous, ô mon Dieu, sur les bords du Jourdain, sur les sommets de l’Hermon et sur ses pauvres collines ». (Ps. 41,7) Enfin, le peuple captif à Babylone s’écriait : Mon Dieu ! je me souviendrai de vous !
4. Répétons donc ces paroles, nous qui habitons aussi Babylone : car bien que nous ne soyons pas au milieu d’ennemis publics, nous nous trouvons en avoir d’autres non moins terribles. Parmi ces captifs, les uns avaient la triste allure de prisonniers ; mais d’autres ne sentaient pas même le joug de la captivité : ainsi Daniel, ainsi les trois enfants qui bien qu’entraînés dans les masses prisonnières, en face même du roi qui les avait emmenés en captivité, étaient glorieux et grands sur cette terre barbare : oui, ces nobles captifs recevaient l’hommage de celui qui les avait réduits en captivité. Voyez-vous quelle puissance possède la vertu ? Un roi les révérait comme ses maîtres jusque dans leur état d’esclavage ; il était donc captif plutôt qu’eux-mêmes. Il eût été moins surprenant de voir ce prince se rendre dans leur pays pour les y vénérer, que de les contempler eux-mêmes, régnant chez leurs vainqueurs. Mais la merveille, c’est qu’après les avoir enchaînés et les ayant sorts sa main à titre de captifs, il ne rougit pas de leur rendre en face du monde entier un véritable culte, jusqu’à leur offrir des victimes. Voyez-vous comme les œuvres de Dieu sont toujours glorieuses, tandis que les nôtres n’en sont que l’ombre ? Ce roi ignorait assurément qu’il amenait ainsi ses maîtres du fond d’un pays vaincu, et il jeta dans la fournaise ceux qu’il allait tout à l’heure adorer, et ce supplice à eux-mêmes ne leur parut qu’un rêve.
Craignons Dieu, mes frères, craignons Dieu, et fussions-nous réduits en captivité, nous serons plus grands que tout le genre humain. Ayons cette crainte de Dieu, et nous ne sentirons plus d’ennuis, quand même cet ennui s’appellerait pauvreté, maladie, captivité, servitude, quels qu’en soient le nom et la nature enfin. Il y a plus : toutes ces misères produiront pour nous des effets tout opposés. Ils étaient captifs ; un roi les révère. Paul fabriquait dés tentes, et on voulait lui offrir des sacrifices comme à tin dieu. On peut demander ici pourquoi les apôtres refusèrent avec horreur ces sacrifices, jusqu’à déchirer leurs vêtements, jusqu’à pleurer pour détourner les peuples de cette idée, jusqu’à s’écrier enfin : « Que faites-vous ? Nous sommes vos semblables, et des hommes mortels comme vous » (Act. 14,14) ; tandis que Daniel ne fit rien de pareil. Qu’il fût humble, pourtant, ce Prophète ; qu’il ne rapportât pas moins que les apôtres la gloire de toutes choses à Dieu, cela est évident par bien des raisons, mais surtout par l’amour que Dieu lui portait. S’il avait usurpé l’honneur dû à Dieu seul, le Seigneur ne l’aurait pas laissé vivre, loin de lui faire recueillir l’honneur et l’estime. Une seconde preuve de sa vertu, c’est qu’il disait en toute franchise : « Ni moi non plus, ô roi, je ne connais pas ce mystère par une révélation que je doive à ma sagesse ». Une troisième preuve enfin, c’est qu’il a pu dire : « Pour mon Dieu, j’étais dans la fosse aux lions » ; et quand un autre Prophète lui apporta de quoi manger : « Le Seigneur », dit-il, « s’est souvenu de moi » (Dan. 2,30 ; IV, 37) ; tant il était humble et pénitent. Il était dans la fosse aux lions pour la cause de Dieu, et il s’estimait indigne d’être exaucé de Dieu, d’avoir même place en sa mémoire.
Mais nous, qui osons commettre des péchés exécrables et sans nombre, nous qui sommes les plus coupables et les plus détestables des créatures, nous reculons si Dieu ne nous exauce pas dès notre première supplication. De fait, entre nous et les saints il y a la distance du ciel à la terre, s’il n’y a pas même un abîme plus grand. Eh quoi ! Daniel, que dites-vous ? Après vos œuvres si saintes et si glorieuses, après ce miracle qui vous sauve des lions, vous vous estimez encore petit et vil ! Assurément, nous répond le Prophète ; car quoi que nous ayons pu faire, nous sommes des serviteurs inutiles. (Lc. 17,10) Et c’est ainsi que devançant l’Évangile, il en remplit le précepte, et se regarde comme rien. Dieu, disait-il, s’est souvenu de moi. Et voyez encore, dans sa prière, quelle humilité ! Comme aussi les trois enfants de la fournaise disaient : « Nous avons péché ; nous avons agi contre vos lois » (Dan. 3,29) ; partout enfin, ils font preuve d’humilité. Et pourtant Daniel avait mille occasions