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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/200

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inquiétai guère. Avec une pareille brise, il nous était facile de le gagner de vitesse, et nous pouvions toujours virer au milieu du canal, sans nous approcher du bateau. La frégate me tourmentait davantage.

C’était, comme je l’appris ensuite, un bâtiment de construction française appelé la Dorothée, bâtiment ancien, mais excellent voilier, et son capitaine s’était rendu célèbre par la hardiesse avec laquelle il s’approchait des côtes de France. C’était la troisième fois qu’il s’aventurait dans ce canal, et comme il en connaissait les coudes et les détours, il pouvait s’y diriger avec moins de danger. Dès que la frégate se crut à une distance suffisante des pièces de canon, elle courut quatre ou cinq courtes bordées près de la terre, où elle se trouva dans la meilleure position pour profiter du flot et de la brise, et où elle n’avait rien à craindre, la rade ordinaire étant naturellement sous l’île.

Il ne me fallut pas plus d’une heure pour me convaincre qu’il n’y avait aucune chance de lui échapper. Si nous continuions à suivre le canal, nous pourrions en atteindre l’extrémité occidentale un peu avant elle ; mais une fois en pleine mer, et l’ayant en terre de nous, nous n’avions aucun espoir de l’éviter. Dans cette circonstance critique, Marbre eut une de ces idées heureuses que je n’avais que le mérite d’exécuter promptement au moment précis. La passe où nous avions été d’abord invités à entrer par les pêcheurs nous restait en ligne directe ; depuis ce moment, la marée avait monté au moins de six pieds, et mon lieutenant me proposa d’en essayer, comme porte de sortie.

— Les Anglais n’oseront jamais nous suivre à cause de la batterie qui la commande, ajouta-t-il, tandis que les Français ne tireront pas sur nous, parce qu’ils croiront que nous fuyons un ennemi commun.

Mon plan fut combiné à la minute. J’arborai le pavillon tricolore au-dessus du pavillon anglais, pour faire croire aux artilleurs qui servaient cette seconde batterie que, pris par les Français, nous cherchions à leur échapper, et je gouvernai droit sur la passe, à l’entrée de laquelle un petit brig était à l’ancre. Pour compléter la ruse, je fis carguer nos basses voiles et amener les perroquets. À cette vue, M Le Gros s’imagina que nous nous apprêtions à jeter l’ancre sous la batterie, et que nous avions arboré ces pavillons pour nous moquer des Anglais ; les bonnets et les chapeaux furent agités