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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/271

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heure à agir par lui-même, il avait tellement réussi à dompter cette malheureuse disposition, qu’il était impossible aux autres de la lui soupçonner, et que lui-même s’apercevait bien rarement de son influence. Enfin il était ce que nous avons essayé de le peindre, non pas un homme sans défauts, mais possédant au moins pour les racheter de grandes et de nobles vertus. Lorsque le jour tira vers sa fin, la petite société de Tremont-Street se réunit comme à l’ordinaire pour partager le léger repas du soir, qu’on avait coutume de faire à cette époque dans toutes les colonies. Cécile était pâle, et le léger tremblement de sa petite main, tandis qu’elle faisait les honneurs de la table, venait parfois trahir son émotion ; mais le calme forcé qu’on lisait dans ses yeux humides prouvait qu’elle avait appelé à son aide toute sa force d’âme, pour se rendre aux désirs de sa grand’mère. Agnès observait tout en silence, mais un regard expressif et pénétrant prouvait ce qu’elle pensait du mystère et de la précipitation qu’on mettait au mariage qu’on allait célébrer. Il semblait cependant que l’importance de l’action qu’elle allait faire avait élevé Cécile au-dessus des petites affections de son sexe, car elle s’informait si on n’avait oublié aucune précaution, avec un intérêt qui prouvait son désir de se voir unie à son amant, et la crainte qu’un obstacle imprévu ne vînt les séparer.

— Si j’étais superstitieuse et si je croyais aux présages, Lincoln, lui dit-elle, l’heure et le temps qu’il fait pourraient bien m’effrayer et m’engager à revenir sur mes pas, car le vent furieux semble quitter tout exprès les plaines immenses de l’Océan pour venir nous visiter, et la neige tombe dans les rues en épais tourbillons.

— Il n’est pas encore trop tard pour changer mes ordres, Cécile, dit Lionel en la regardant avec inquiétude ; j’ai dirigé tous mes mouvements comme un grand général, et il nous est aussi facile de reculer que d’avancer.

— Battriez-vous donc en retraite devant un ennemi si peu formidable que moi ? répondit-elle en souriant.

— Vous avez sûrement compris que je n’ai voulu parler que de changer le lien de notre mariage. Je crains de vous exposer, vous et notre aimable cousine, à la violence de la tempête, qui, comme vous le dites fort bien, après avoir tourmenté si longtemps l’Océan, paraît enchantée de trouver enfin une terre sur laquelle elle puisse exercer sa furie.