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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/202

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ISABELLE.

Reconnoissez par là que Dorante vous aime,
890Et que dans son amour son adresse est extrême ;
Il aura su qu’Alcippe étoit bien avec vous[1],
Et pour l’en éloigner il l’a rendu jaloux.
Soudain à cet effort il en a joint un autre :
Il a fait que son père est venu voir le vôtre.
895Un amant peut-il mieux agir en un moment
Que de gagner un père et brouiller l’autre amant ?
Votre père l’agrée, et le sien vous souhaite ;
Il vous aime, il vous plaît : c’est une affaire faite.

CLARICE.

Elle est faite, de vrai, ce qu’elle se fera.

ISABELLE.

900Quoi ? votre cœur se change, et désobéira[2] ?

CLARICE.

Tu vas sortir de garde, et perdre tes mesures[3].
Explique, si tu peux, encor ses impostures :
Il étoit marié sans que l’on en sût rien ;
Et son père a repris sa parole du mien,
905Fort triste de visage et fort confus dans l’âme.

ISABELLE.

Ah ! je dis à mon tour : « Qu’il est fourbe, Madame ! »
C’est bien aimer la fourbe, et l’avoir bien en main,
Que de prendre plaisir à fourber sans dessein ;
Car, pour moi, plus j’y songe, et moins je puis comprendre

  1. Var. Il aura su qu’Alcippe étoit aimé de vous. (1644-56)
  2. Var. Quoi ? votre humeur ici lui désobéira ? (1644-56)
  3. « Cette métaphore, tirée de l’art des armes, paraît aujourd’hui peu convenable dans la bouche d’une fille parlant à une fille ; mais quand une métaphore est usitée, elle cesse d’être une figure. L’art de l’escrime étant alors beaucoup plus commun qu’aujourd’hui, sortir de garde, être en garde, entrait dans le discours familier, et on employait ces expressions avec les femmes mêmes ; comme on dit à la boule-vue à ceux qui n’ont jamais vu jouer à la boule ; servir sur les deux toits à ceux qui n’ont jamais vu jouer à la paume ; le dessous des cartes, etc. » (Voltaire.)