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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/256

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Saragosse, 1630, qui contient la Verdad sospechosa, et qui commença sans doute une substitution de nom si étrangère au caractère honorable de Lope, et surtout au caractère de sa poésie. Dans le tome XXIV de la même série, Saragosse, 1633, on lui attribua de même une des bonnes comédies d’Alarcon, el Exámen de maridos, qui se retrouve dans les recueils de pièces détachées (sueltas), tantôt sous son nom, tantôt sous celui de Montalvan. C’est ainsi encore que le Tejedor de Segovia d’Alarcon (traduit en 1839, et dignement apprécié par M. Ferdinand Denis) a couru dans les sueltas sous le nom de Calderon et de Rojas.

Mais la renommée de Juan de Alarcon, longtemps obscurcie par ces spoliations, a été revendiquée et s’est fort agrandie dans le siècle présent. Du reste tout ce qu’on sait sur sa personne, c’est qu’il était né au Mexique de sang espagnol, qu’il occupa à Madrid une charge de l’ordre judiciaire, et qu’il devait être d’un âge moyen entre Lope et Calderon. Il mourut en 1639. Quelques mauvaises épigrammes du temps font penser qu’il n’était ni beau ni bien fait ; quant à son caractère personnel, on peut l’inférer de ce qu’aucun auteur dramatique n’a plus constamment employé le ton d’un moraliste élevé et convaincu.

Vers 1660 seulement Corneille connut et restitua le vrai nom de son modèle, dans l’Examen du Menteur, examen par malheur bien bref et insuffisant. Il faut voir toutefois dans ce morceau, ainsi que dans sa préface primitive (1644), quelle gratitude et quelle admiration il témoigne pour l’ouvrage en partie traduit, en partie imité par lui ; quelle généreuse envie l’entraîne jusqu’à dire qu’il voudrait avoir donné les deux plus belles pièces qu’il ait faites, et que ce sujet fût de son invention. Enfin il n’a rien vu dans cette langue qui l’ait satisfait davantage[1]. C’est là un grave jugement, pour peu qu’il se souvienne de Castro et du Cid ; jugement maintenu avec fermeté après que l’ouvrage est dépouillé du prestige d’un nom tel que celui du grand Lope de Vega.

Mais la préface, antérieure de seize ans à ces déclarations, s’exprimait, comme on peut le voir, avec une effusion d’éloges non moins franche sur cet admirable original[2]. Ce que nous voulons y remarquer, c’est la répugnance de Corneille à reprendre pour l’impression du Menteur le fastidieux procédé des citations espagnoles au bas de ses vers. Heureusement la fantaisie des critiques n’était plus tournée à cette exigence pédantesque. L’hommage si éclatant qu’il rend cette fois à son modèle doit suffire à le dispenser de marquer ses obligations en détail. Il aurait bien fait, ce nous semble, de s’en tenir à ce moyen d’excuse. Il y ajoute un peu gauchement, qu’on nous permette

  1. Voyez ci-dessus, p. 137.
  2. Voyez ci-dessus, p. 132-134.