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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/257

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de le dire, une raison fausse en elle-même, en disant que comme il a « entièrement dépaysé les sujets pour les habiller à la françoise, vous trouveriez si peu de rapport entre l’espagnol et le françois, qu’au lieu de satisfaction vous n’en recevriez que de l’importunité. » Il y a plus de maladresse que de manque de sincérité dans les prétextes qu’il ajoute pour se défendre de ne pas payer une dette qui ne lui incombe pas réellement.

Cette dette, qui n’était pas la sienne, devient de nos jours celle d’une édition critique de Corneille. Le Menteur est un ouvrage dont la valeur, le caractère, l’artifice de composition, le style même ne peuvent être suffisamment compris, si on ne le rapproche du modèle d’où il est tiré.

I.

Un mot d’abord sur le titre, la Verdad sospechosa. Il signifie la vérité rendue suspecte, discréditée par des mensonges. C’est moins l’annonce d’une comédie de caractère, quoique la pièce possède ce mérite, qu’une allusion aux complications d’un amusant imbroglio de galanterie espagnole qui entre pour moitié dans le double genre de l’ouvrage. Le titre français pouvait se présenter de lui-même ; cependant il se rencontre dans un second titre, y por otro titulo el Mentiroso, placé, comme par hasard, seulement à l’index du volume, dans la contrefaçon espagnole, qui est assez correcte d’ailleurs.

Nous supposons connu, par la lecture de Corneille, le fond commun des deux ouvrages, et par là nous nous épargnons la tâche d’analyser celui du poëte espagnol, tâche difficile par cela même que la composition en est traitée avec un art consommé, dans toutes les parties d’un sujet fort compliqué. C’est un mérite qu’on pourrait recommander à une étude spéciale, mais nous ne voulons pas oublier qu’ici c’est Corneille que nous étudions, soit dans les ressources d’invention dont il fait usage, soit dans l’exécution et les développements de détail.

Corneille rendait déjà un assez grand service à notre théâtre, lorsqu’il y importait pour la première fois un sujet vraiment comique, sans nulle prétention d’en modifier la pensée fondamentale, et qu’il le revêtait pour nous des beautés d’une diction encore inconnue en ce genre. Mais quel que soit son désir de changer le moins possible, il se condamne à mille modifications plus ou moins adroites, soit pour dépayser son action, soit pour obéir aux conditions purement formelles de son art et de son école. Ce ne sont jamais en réalité que des expédients de métier, pour pouvoir mettre en œuvre dans la proportion resserrée de cinq actes, en alexandrins, une composition qui s’offre à lui plus étendue dans sa forme originale, plus pleine d’action, de dialogue rapide et de détails motivés.