Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II.

Les personnages seront les mêmes, moins trois ou quatre petits rôles accessoires, mais fort utiles à leur place. Les noms, qui chez Alarcon appartiennent naturellement à la société espagnole, se transforment chez nous en noms insignifiants, tirés du grec pour la plupart, et dits de comédie, pratique peu favorable à l’illusion, et qui a trop longtemps persisté en France[1].

La scène est des deux parts dans la capitale : à Madrid elle présente, selon le besoin, environ six tableaux divers ; à Paris, deux seulement, les Tuileries, et la place Royale[2], dans laquelle des mariages se traitent et de graves entretiens s’engagent.

La durée, de trente-six heures en français, a aussi beaucoup de continuité dans l’espagnol, sauf un intervalle de trois jours qui est supposé entre la scène d’entretien nocturne et l’action ultérieure.

III.

Notre scène première n’est que la seconde dans l’espagnol, où nous voyons arriver l’écolier de Salamanque, appelé à la vie de cour par suite de la mort d’un frère aîné. Il est accueilli cordialement par son noble père, don Beltran, qui attache à son service le valet Tristan. Ainsi nous comprendrons plus tard les plaisantes surprises de ce valet à chaque mensonge inattendu d’un maître qu’il ne connaissait pas encore. Ces choses s’expliquent moins nettement entre Dorante et Cliton. Mais le grand mérite de cette introduction, c’est de nous faire connaître d’abord un rôle aussi dominant que celui du vieux gentilhomme, plein de sa tendresse de père et de ses principes d’honneur : il interroge avec sollicitude un digne letrado, ou maître ès arts, auquel était confié à Salamanque le jeune Garcia (Dorante), selon l’usage des étudiants de qualité. Ce personnage ne doit figurer que dans cette scène, et doit repartir pour prendre possession d’un emploi dont on l’a gratifié ; mais pressé de questions sur les dispositions de son élève, il signale à regret une fâcheuse habitude de mentir. Douleur généreuse, éloquente, du père. Ainsi s’établit d’abord le fond moral de la pièce, tandis que le caractère et l’indignation du Géronte de Corneille ne se produisent que bien tard. Don Beltran songe enfin à marier son fils, pour prévenir, s’il se peut, le tort qu’il pourra se faire dans le monde. Le spectateur sait gré au poëte de cet art qu’il met à justifier et à lier toutes les circonstances.

  1. Voyez plus haut, p. 140, note 2.
  2. Voyez l’Examen, p. 137 et 138.