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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/260

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que me haga relacion
el cochero, de qui en son.

GARCÍA.

Dirálo ?

TRISTAN.

Dirálo ?Si ; que es cochero.

La principale de ces deux dames (Jacinta-Clarice) fait un faux pas et tombe. L’heureuse occasion offerte au jeune homme de la relever engage la conversation par de beaux compliments alambiqués, également à la mode en Espagne et à l’hôtel de Rambouillet. Une corrélation piquante nous engage à traduire ce passage : il faut tenir compte du langage métaphorique de la galanterie méridionale, et rapprocher le surplus de Corneille[1].

« Souffrez, Madame, que cette main vous relève si je suis digne d’être l’Atlas d’un ciel incomparable.

— Puisqu’il vous est donné de le toucher, vous devez être Atlas sans doute.

— C’est une chose de parvenir, une autre de mériter. Qu’ai-je gagné à toucher la beauté qui m’enflamme, si je n’ai obligation de cette faveur qu’au hasard et non à votre volonté ? De cette main, il est vrai, j’ai pu toucher le ciel ; mais que m’en revient-il si c’est parce que le ciel est tombé, et non pas que j’aie été élevé jusqu’à lui ?

— À quelle fin prend-on la peine de mériter ?

— Afin de parvenir.

— Mais parvenir sans passer par les moyens, n’est-ce pas heureuse fortune ?

— Oui.

— Pourquoi donc vous plaindre du bien qui vous est advenu, si, n’ayant pas eu à le mériter, vous n’en avez que plus de bonheur ?

— C’est que les intentions étant ce qui donne leur mérite aux actes, soit de faveur, soit de dommage, votre main que j’ai touchée n’est pas une faveur pour moi, si vous l’avez souffert, et que tel n’ait pas été votre choix. Souffrez donc mon regret de penser qu’en ce bonheur qui m’est échu, j’ai rencontré la main sans le cœur, la faveur sans la volonté. »

Cette thèse, comme on le voit, passe tout entière dans Corneille. Il faut bien qu’il y joigne la solennité de son vers arrondi et de sa grande forme dialectique moins découpée en dialogue. Peut-être ajoute-t-il pour son compte quelque surcroît d’amphigouri : le vers 133, au sujet de cette faveur :

« On me l’a pu toujours dénier sans injure. »

  1. Voyez acte I, scène ii, vers 105-152.