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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/269

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à son fils, au gentilhomme qui se dégrade par le mensonge ; ensuite un mariage à lui proposer. Il va se produire un très-bel effet de haut comique, quand le jeune homme, après avoir écouté docilement la semonce paternelle, se trouve tout aussitôt avoir besoin d’un empêchement insurmontable à un mariage qui contrarie son amour, il le croit du moins, et qu’il rend au respectable moraliste le fruit de son sermon, en improvisant avec tant de feu le roman de ses amours à Salamanque, de son hymen forcé, la montre qui sonne, le pistolet qui part, la muraille percée, etc. Le bon père est ému, il croit tout, se résigne, et remonte à cheval pour aller porter ses excuses à la famille de Jacinte. Le jeune étourdi reste seul, enchanté de son adresse et de tant d’aventures à soutenir.

Corneille a beaucoup sacrifié de la force comique en disjoignant ces deux moitiés de scène, si frappantes par leur péripétie immédiate. S’il reproduit très-fidèlement et avec un grand charme, au deuxième acte[1], le conte du mariage, il réserve pour le cinquième[2], comme renfort de son faible dénoûment, la réprimande du vieux gentilhomme.

Quant à la narration, c’est un morceau capital, où Corneille regagne l’avantage par un travail plus attentif dans le choix et la distribution des circonstances, et par un style plus savamment étudié, où l’emphase convenable au sujet n’est pas surchargée d’un luxe trop oiseux. Il coupe avec plus d’art le dialogue qui doit amener cette narration ; mais il ajoute un petit mouvement théâtral sur lequel nous interrogerons la délicatesse du lecteur, pour savoir si ce trait de fourberie hypocrite est bien dans la vraie nuance du caractère du Menteur :

« Pour ob« Souffrez qu’aux yeux de tous
« Pour obtenir pardon j’embrasse vos genoux.
« Je suis — Quoi ? — Dans Poitiers — Parle donc, et te lève.
« — Je suis donc marié, puisqu’il faut que j’achève[3]. »

Cette remarque en appelle une autre, c’est qu’en divers endroits, très-courts il est vrai, le ton du jeune homme en arrière de son père offre, comme chez Regnard, un mélange d’impertinence dure et moqueuse qui n’était point dans l’original, plus fidèle à des habitudes de bonne compagnie.

Il est trop vrai en général que la malice française aime à enchérir, plutôt que de rabattre, sur les détails d’un certain genre. Pourquoi Corneille suppose-t-il que Dorante se coulait souvent sans bruit dans la chambre de sa belle[4], tandis que son auteur suppose seulement un premier rendez-vous pour amener son aventure ?

  1. Scène v.
  2. Scène iii.
  3. Acte II, scène v, vers 591-594.
  4. Voyez ibidem, vers 615.