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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/399

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J’aime, et je suis aimée, et mon frère y consent ;
1820Mon choix est aussi beau que mon amour puissant ;
Vous l’auriez fait pour moi, si vous étiez mon frère :
C’est Dorante, en un mot, qui seul a pu me plaire.
Ne me demandez point ni quelle occasion,
Ni quel temps entre nous a fait cette union ;
1825S’il la faut appeler ou surprise, ou constance :
Je ne vous en puis dire aucune circonstance ;
Contentez-vous de voir que mon frère aujourd’hui
L’estime et l’aime assez pour le loger chez lui,
Et d’apprendre de moi que mon cœur se propose
1830Le change et le tombeau pour une même chose.
Lorsque notre destin nous sembloit le plus doux,
Vous l’avez obligé de me parler pour vous ;
Il l’a fait, et s’en va pour vous quitter la place :
Jugez par ce discours quel malheur nous menace[1].
1835Voilà cet accident qui le fait retirer ;
Voilà ce qui le trouble, et qui me fait pleurer ;
Voilà ce que je crains ; et voilà les alarmes
D’où viennent ses soupirs, et d’où naissent mes larmes.

PHILISTE.

Ce n’est pas là, Dorante, agir en cavalier.
1840Sur ma parole encore vos êtes prisonnier ;
Votre liberté n’est qu’une prison plus large ;
Et je réponds de vous s’il survient quelque charge.
Vous partez cependant, et sans m’en avertir !
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.

DORANTE.

1845Allons, je suis tout prêt d’y laisser une vie
Plus digne de pitié qu’elle n’étoit d’envie ;
Mais après le bonheur que je vous ai cédé,
Je méritois peut-être un plus doux procédé.

  1. Var. Jugez par là, Monsieur, quel malheur nous menace. (1645-56)