Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il l’entoure ? il se garde bien de nous en instruire, et pour cause. Quoique l’achevé d’imprimer de son ouvrage soit du « treizième février 1646, » et fort postérieur par conséquent à la représentation de la pièce de Corneille, il ne dit pas un mot de celle-ci, et fait seulement dans sa dédicace à Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, une allusion évidente, quoique détournée, à la différence du caractère de la Reine mère dans les deux pièces : « Cette héroïne, Monseigneur, qui demande aujourd’hui votre protection, est celle-là même dont les héros venoient jadis implorer la grâce. Pour vous persuader de lui accorder la faveur qu’elle vous demande, elle vous assure qu’elle n’a jamais eu la pensée de tremper ses mains dans le sang de son mari, ni dans celui de son fils ; que si elle eût eu des sentiments si barbares et si contraires aux inclinations de Votre Altesse Royale, elle n’eût jamais osé se présenter devant Elle, et n’eût pas eu assez d’audace pour demander à la vertu la protection du vice. »

Ce passage curieux, que M. Viguier n’a pas cité, est cependant très-propre à confirmer une conjecture fort ingénieuse qu’il propose dans ses intéressantes Anecdotes littéraires sur Pierre Corneille. « Anne d’Autriche, dit-il, était susceptible, scrupuleuse, romanesque, emportée, et sa position de régente, tutrice du jeune roi et de son frère, était fort délicate, ainsi que celle de Gaston, si incertain de ses droits et de ses devoirs comme lieutenant général du royaume. Or le bruit courait chez Monsieur le Prince et partout qu’une héroïne nouvelle de Corneille allait faire voir sur la scène une reine régente, mère de deux princes, homicide, par ambition, de son mari et de ses deux fils. Le duc d’Orléans, Gaston, devait assez bien faire sa cour à la Régente en commandant au poëte Gilbert une autre Reine mère que celle de Corneille[1]. »

Soit que Corneille crût devoir quelques ménagements à un rival si bien en cour, soit que le mépris qu’il avait pour son procédé le portât à ne se point commettre avec lui, il ne laisse pas échapper une phrase, un mot qui puisse se rapporter à la pièce de Gilbert[2].

  1. Pages 62 et 63.
  2. Nous donnons en appendice, à la suite de la tragédie, l’analyse de cette pièce de Gilbert par les frères Parfait.