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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/331

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Il me conta que l’un des temples que nous habitions, le plus beau, était consacré à une déesse, en qui ils avaient la foi la plus grande ; on ne lui sacrifiait que des jeunes filles vierges et de la plus grande beauté, car autrement la déesse s’irritait : de sorte qu’ils prenaient bien garde de la satisfaire en choisissant leurs victimes dès l’enfance, parmi les plus jolies créatures. Je répondis ce que l’indignation me suggéra, ce dont ils ne parurent point trop s’émouvoir.

Le cacique de ce village se montra pour moi un ami véritable ; il me parla longuement des Espagnols que j’allais rejoindre et du chemin que je devais suivre ; il me dit en toute confidence, me suppliant de n’en parler à personne, que Apaspolon, seigneur de toute la province, qui avait fait répandre le bruit de sa mort, était vivant ; que le jeune homme qui était venu me voir était bien son fils, et qu’on cherchait à me détourner de la route droite pour que je ne visse point la contrée et les autres villages ; qu’il m’avisait de cela parce qu’il avait une grande affection pour moi et parce que j’avais été bienveillant à son égard. Il me suppliait de nouveau de ne rien divulguer de ce qu’il m’avait dit, car si Apaspolon l’apprenait, il brûlerait ses villages et le ferait assassiner. Je lui promis le secret ; je le récompensai en lui donnant quelques bagatelles, et m’engageai à le récompenser plus tard beaucoup plus largement, au nom de Votre Majesté.

Je fis aussitôt appeler le jeune homme fils du seigneur qui était venu me voir et je lui avouai combien j’étais surpris que son père se refusât à me rendre visite, sachant dans quelles intentions pacifiques j’étais venu, et que lui ayant des obligations, je désirais vivement m’acquitter envers lui. Je lui dis qu’il était vivant, que j’en étais convaincu ; qu’il allât donc le trouver, le priant de venir me voir et qu’il y gagnerait de toutes façons. Il me répondit qu’en vérité il était vivant, que s’il m’avait dit le contraire c’est qu’il en avait reçu l’ordre ; mais qu’il irait le chercher et qu’il viendrait certainement, parce qu’il avait la plus grande envie de me voir, sachant bien que je ne lui voulais aucun mal, qu’au contraire je m’efforçais de lui être agréable ; mais qu’il ressentait quelque honte à se montrer après avoir fait dire qu’il était mort.