Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/23

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Je n’étais pas un être définitif et pourtant, de l’humanité entière je n’acceptais plus qu’une silhouette, toujours la même, dans les miroirs. De l’autobus, un geste était la fleur sur une tombe, ma tombe. Hélas ! je n’avais à ma disposition que deux fois cinq pétales et puis pourquoi souffler des voyageurs vers ce jeune homme à peine entrevu et déjà mort de ma fuite. Je voulais me préférer, mais chaque mur derrière mes talons devenait un sépulcre. Je ne me trouvais plus du tout.

Je serais bien reparti pour l’amour vêtu d’espoir comme l’enfance pour les opérettes du jeudi, car une vitre en biseau accusait déjà la tristesse mauve des solitudes aux paupières ; mais c’était tout de même avec le mépris des rues où le bonheur tremble en lettres de lumière, la fuite vers le square ; là, des fusains empêchent l’hiver de s’en aller jamais et parmi la tristesse des promeneurs, la chair n’a d’autre volupté que celle de ne plus savoir si elle a froid du brouillard ou chaud d’un col de loutre ; les passants et les passantes à qui, parfois, se dédiait ma solitude, valaient juste ces poupées que les marins pétrissent quand les hamacs sont par trop solitaires.

Secours de la fable antique, aux devantures les miroirs deviennent d’attendrissants ruisseaux, mais je ne sais que l’effroi de Narcisse, son effroi lorsque sa bouche proche de l’autre bouche jusqu’à s’y confondre perçoit l’ironie d’une fuite au milieu des rires. Si la réalité ne semble plus irréfutable, il faut multiplier les hypothèses. Ne croit-on pas à la faveur des maquillages et des transformations que Frégoli n’est pas un homme mais dix, vingt hommes, venus chacun son heure, d’un monde étrange, très loin,