Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/29

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La vie continuait dans les cités cubiques, mais pour avoir eu par un juillet de France (tricot clair et robe blanche) un rêve trop facile, ma sœur reposait dans un cimetière d’outre-Atlantique.

Mais y a-t-il même un cimetière pour les villes qui croissent en hauteur ? Au quarantième de quel gratte-ciel met-on les cadavres et leur exact vêtement de bois ?


J’essayai de réagir.

Je voyageai.

Peine perdue. Les villes me semblèrent des gares où tout le monde descendait pour s’installer à nouveau dans d’autres trains qui allaient, eux, on ne savait trop où.

Je traversai Marseille, Toulon, quelques ports italiens, l’Algérie.

Les autres hommes faisaient comme si c’était bien des rues et des boulevards entre les murs. Je ne me laissai pas prendre au mensonge des affiches. Sur un des panneaux-réclame, je reconnus l’Arabe ; il se réjouissait des trous dans la laine de son burnous ; autant de fenêtres à l’exil du corps ; je ne suivis point au-delà des quais cette fille brune de peau, sous le sang du corsage, qui faisait claquer ses socques parmi les caisses et j’eus pitié des Caucasiens qui transpirent l’intelligence et la tuberculose, le front las des cônes de castor, les jours de canicule.

Au port de Marseille, en conscience, j’avais essayé d’aimer une girl de l’Alcazar. Elle s’appelait Jessy, avait le goût des jeunes hommes, des cheveux blonds, des coquillages, des oranges, des chansons et de la danse. D’abord, en dépit de tout mon bon vouloir, elle fut dans mon