Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/45

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ne s’agissait pas de surprise ; il me semblait tout le temps respirer une odeur de friture et de papier mouillé, vous savez, cette odeur de la mort, autour des cimetières de banlieue. Un jour j’écoutai un jeune homme qui parlait d’hypnotisme. Son regard accrocha le mien. Il se leva ; j’eus peur et ne voulus plus le regarder. Alors il me prit les poignets, me les tordit et je dus bien accepter ses yeux. Il me lâcha ; sa main glissa sous la mienne ; ce n’était plus une main à vrai dire mais une conque ; il n’y avait plus de précipice entre les doigts. La figure s’approcha jusqu’à toucher la mienne. Elle était très froide. Je ne vis plus qu’un œil. Je fus la dernière fleur invisible du bouquet.

« Plus tard ce jeune homme commanda : “Vous ferez toujours ainsi. Automate, vous marcherez entre les tables comme sur un fleuve ; vous vous arrêtez à chaque île de dîneurs et suivant mon gré y prendrez une rose, un fruit dans la mousse. Vous me remettrez la gerbe des curiosités...” »

Léila interrompt Myriam.

« Cet homme s’appelait ?

— Bruggle.

— Un Bruggle voilà l’être qu’il vous faut, ricane à mon nez la poétesse hindoue et elle caresse la nuque de Myriam.

If you please, an other cocktail. »

On boit, on danse.

Accepterai-je la prédiction de l’odieuse Léila ? Ma cervelle bien vide et bien lisse va-t-elle refléter le bonheur, des pieds en soie lui faire confidence de leurs caresses ? Ma tête aura-t-elle la docilité des boules qui vont sous la