Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/86

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— Mais, interrompit Cyrilla, sur le bateau, il aurait au retour aperçu quelque poétesse hindoue et son bonheur conjugal eût été compromis.

— Peut-être », fut-il simplement répondu.

Sans doute, Léila, durant tout ce dîner, ne fit- elle que montrer une prétention d’intelligence et de parole bien ridicule par nature, mais habile à jouer tous les airs sur tous les instruments, elle avait forcé, comme à l’ordinaire, à ne pas entendre ce qui n’était point Léila, car telle était sa volonté ; cette volonté je l’avais donc subie sans pouvoir condamner mon manque de courage ni l’expliquer.

Une certitude acquise sans aucune recherche consciente, nous vaut certaine sensation d’âme assez indécise, mais toujours la même, devant les êtres ; ainsi, bien que la femme fatale soit d’un romantisme démodé à n’être plus concevable, l’Hindoue, quoi que j’en aie dit, quoi que j’en doive dire, me condamne à la crainte inévitablement, et en sa présence il me faut faire effort pour garder une apparence de calme. Sans doute ne découvrirai- je point les raisons de la mystérieuse volonté qui détermine mon appréhension, car il n’est pas en notre pouvoir de dire ce qui donne à nos paroles leur tonalité, leur rythme à nos gestes ; il s’agit de réflexes, mais en dernière analyse, comme d’un être à l’autre il y a vingt croisements, retours et faisceaux, on ne saurait dire lequel en vérité a le rôle de petit marteau médical.

Dès le dîner, chez les Boldiroff, si je ne me trouvais pas à même de préciser les desseins de Léila, je pensais du moins prétendre n’ignorer plus sur elle toute vérité ; cette vérité n’avait d’autre critérium qu’une tonalité affective.