Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 1 - 1762-1765 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme obscur vint la présenter comme sienne, sous le titre du Droit du Seigneur, au comédien semainier[1]. Il fut reçu avec la morgue ordinaire, et ce ne fut qu’en faveur de ses instances les plus respectueuses et les plus humbles qu’on lui promit d’y jeter les yeux. Il fallut bien des courses, bien des prières, avant d’obtenir une nouvelle audience. Enfin on lui déclara qu’on avait parcouru sa comédie et qu’elle était détestable. Le jeune candidat demanda si on avait lu exactement ce drame ? Il fit observer que cet arrêt était bien rigoureux ; qu’il avait montré sa comédie à quelques gens de goût, qui ne l’avaient pas jugée si défavorablement ; qu’il avait même l’honneur du suffrage de M. de Voltaire. On lui rit au nez : on lui dit qu’il ne fallait pas se laisser séduire par ces applaudissemens de société ; que la plupart des gens du monde n’entendaient rien à ces sortes d’ouvrages ; et quant à l’illustre auteur qu’il réclamait, que sans doute c’était un persiflage. Le pauvre diable insista pour obtenir une lecture, la troupe assemblée : on lui répliqua qu’il se moquait, que la compagnie ne s’assemblait pas pour de pareilles misères. Il fallut avoir recours aux suppliques et aux bassesses, et les entrailles du comédien s’étant émues, on lui accorda par compassion un jour de lecture. Le comique aréopage était si prévenu, que vraisemblablement il ne fit pas grande attention à ce qu’il entendait, et la pièce fut conspuée par toute l’assemblée. Le jeune homme se retira fort content de la comédie qu’il venait de jouer. Quelque temps après, M. de Voltaire adressa cette même pièce aux Comédiens, sous le titre qu’elle porte aujourd’hui. On la

  1. On appelle semainier celui qui est nommé chaque semaine pour suivre les affaires de la troupe. C’était le sieur Bellecour dans ce temps-là.