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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/270

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elle dissimule, ains elle ferme ses yeux avant que de le voir, au premier bruit qu’elle en aperçoit, et puis croit par une sainte simplicité que ce n’était pas le mal, mais seulement l’ombre ou quelque fantôme de mal ; que si par force elle reconnaît que c’est lui-même, elle s’en détourne tout incontinent et tâche d’en oublier la figure. La charité est le grand remède à tous maux, mais spécialement pour celui-ci. Toutes choses paraissent jaunes aux yeux des ictériques et qui ont la grande jaunisse ; l’on dit que pour les guérir de ce mal, il leur faut faire porter de l’éclère sous la plante de leur pied. Certes, ce péché de jugement téméraire est une jaunisse spirituelle, qui fait paraître toutes choses mauvaises aux yeux de ceux qui en sont atteints ; mais qui en veut guérir, il faut qu’il mette les remèdes non aux yeux, non à l’entendement, mais aux affections qui sont les pieds de l’âme : si vos affections sont douces, votre jugement sera doux ; si elles sont charitables, votre jugement le sera de même.

Je vous présente trois exemples admirables. Isaac avait dit que Rébecca était sa sœur ; Abimélech vit qu’il se jouait avec elle, c’est-à-dire qu’il la caressait tendrement, et il jugea soudain que c’était sa femme : un œil malin eût plutôt jugé qu’elle était sa garce, ou que, si elle était sa sœur, qu’il eût été un inceste ; mais Abimélech suit la plus charitable opinion qu’il pouvait prendre d’un tel fait. Il faut toujours faire de même, Philothée, jugeant en faveur du prochain, autant qu’il nous sera possible ; que si une action pouvait avoir cent visages, il la faut regarder en celui qui est le plus beau. Notre Dame était grosse, saint Joseph le voyait clairement ; mais parce que d’autre côté il la voyait toute sainte,