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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/272

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que « ceux qui ne croient point sont déjà jugés », parce qu’il n’y a point de doute en leur damnation. Ce n’est donc pas mal fait de douter du prochain, non, car il n’est pas défendu de douter, ains de juger ; mais il n’est pourtant pas permis ni de douter ni de soupçonner sinon ric-à-ric[1], tout autant que les raisons ou arguments nous contraignent de douter ; autrement les doutes et soupçons sont téméraires. Si quelque œil malin eût vu Jacob quand il baisa Rachel auprès du puits, où qu’il eût vu Rébecca accepter des bracelets et pendants d’oreille d’Eliézer, homme inconnu en ce pays-là, il eût sans doute mal pensé de ces deux exemplaires de chasteté, mais sans raison et fondement ; car quand une action est de soi-même indifférente, c’est un soupçon téméraire d’en tirer une mauvaise conséquence, sinon que plusieurs circonstances donnent force à l’argument. C’est aussi un jugement téméraire de tirer conséquence d’un acte pour blâmer la personne ; mais ceci, je le dirai tantôt plus clairement.

Enfin, ceux qui ont bien soin de leur conscience, ne sont guère sujets au jugement téméraire ; car comme les abeilles, voyant le brouillard ou temps nubileux, se retirent en leurs ruches à ménager le miel, aussi les cogitations des bonnes âmes ne sortent pas sur des objets embrouillés ni parmi les actions nubileuses des prochains : ains, pour en éviter la rencontre, se ramassent dedans le cœur pour y ménager les bonnes résolutions de leur amendement propre. C’est le fait d’une âme inutile, de s’amuser à l’examen de la vie d autrui.

  1. Avec une exactitude rigoureuse.