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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, Curet, 1810.djvu/307

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absolument défendu aux hommes, en qualité d’hommes, de juger les autres. Voir ou connoître une chose, ce n’est pas juger, puisque les jugemens, ainsi que la sainte Écriture s’en explique, présupposent toujours quelque sorte de raison, grande ou petite, véritable ou apparente, que l’on doit examiner prudemment ; c’est pourquoi elle dit que ceux qui n’ont pas la foi sont déjà jugés, parce qu’il n’y a nulle raison de douter de la damnation. Ce n’est donc pas mal fait, direz-vous, de douter de son prochain ? Non absolument, puisqu’il n’est pas défendu de douter, mais de juger ; il n’est pourtant pas permis ni de douter, ni de soupçonner, sinon précisément autant que les raisons que nous en avons nous y obligent, autrement les doutes et les soupçons seroient téméraires. Si quelque vil malin eût vu Jacob, quand il baisa Rachel auprès du puits en la saluant honnêtement selon l’usage établi, ou qu’il eût vu Rébecca recevoir des bracelets et des pendans d’oreilles de la main d’Eliezer, homme inconnu en ce pays-là, il eût sans doute mal jugé de ces deux jeunes personnes qui étoient des exemples de chasteté, mais sans raison ni fondement ; car, lorsqu’une action est indifférente d’elle-même, c’est un soupçon téméraire d’en tirer une mauvaise conséquence, à moins que plusieurs circonstances ne forment ensemble une raison bien convaincante.