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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/108

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LE PAIN BLANC

payait Mme Arnaud pour enseigner à sa belle-fille la musique d’ensemble.

Emportée, balancée, lyrique, Élysée, au comble de l’enivrement, éprouvait le besoin, chaque fois qu’elle passait devant cette pauvre Hachegarde exténuée, de lui sourire, comme pour se faire pardonner sa joie et son luxe. L’humble violoniste répondait par un petit signe. C’était une grande fille aux joues phtisiques, lentement tuée par les leçons qu’elle donnait, les nocturnes cinémas où elle jouait, une créature mal vêtue et mal nourrie dont le regard fanatique illuminait la misère.

Élysée avait eu le temps déjà d’admirer la passion déchaînée de cette fille pour la musique. Elle souffrait un peu de la sécheresse avec laquelle sa belle-mère parlait à ce quatuor mercenaire. Elle sentait tout ce qu’il y a d’amer, pour des artistes, à jouer ce rôle de salariés parmi l’insolence des riches.

Née bonne, elle avait toujours essayé de témoigner sa sympathie au petit groupe musicien. Et ce soir, plus que jamais, elle tenait à leur faire comprendre qu’elle les considérait comme des amis, au même titre que les beaux petits messieurs et demoiselles de ce bal.

— C’est pour vous que nous jouons !… lui chuchotèrent-ils, à un moment où elle venait leur parler.

Elle aima cette petite parole. Sa bonne grâce, déjà, lui en avait valu d’autres dans la maison. Les domestiques semblaient la servir avec plaisir. La dactylo de son père lui adressait des regards reconnaissants.

— Alors quoi, Élysée ?…

C’était Julien de Villevieille qui venait la chercher pour aller au buffet.

— Je vais vous envoyer quelqu’un pour vous servir tout ce que vous voudrez !… jeta la petite aux musiciens tout en s’éloignant, entraînée par Julien.

— Vous aimez les subalternes !… dit, du bout des lèvres, le jeune homme ironique.

Elle ne voulut pas avoir entendu cette phrase antipathique.

— Enfin, la voilà !… crièrent tous les danseurs quand elle réapparut.