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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/109

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LE PAIN BLANC

Et ce fut une minute où, véritablement, elle se sentit reine. Sa robe, autour d’elle, ne pesait pas plus que les pétales autour d’une rose blanche. Animée et les joues brillantes, ce fut peut-être la première fois qu’elle se comprit belle, tant les regards des filles et des garçons l’admiraient.

— Ah ! que c’est amusant, la vie !… murmura-t-elle en se laissant tomber sur le petit divan.

Et, lui tendant une coupe de champagne tandis qu’une expression singulière montait dans ses froids et jolis yeux bleus :

— Vous trouvez ? répondit Julien d’un air infiniment mélancolique. Vous avez peut-être raison. C’est en effet très, très amusant.

Là-bas, le petit orchestre commençait un fox-trot. Toute la troupe joyeuse glissa dans la danse, comme un vol de cygnes noirs et blancs qui se remet doucement à l’eau.

Ce fut à l’un de ses mardis, comme son studio débordait de jeunes gens et de jeunes filles… On ne sait quelle conversation amena la chose.

— Je vais vous réciter des vers… dit Élysée.

Et, parmi le rond qui venait de se former autour d’elle, debout, un peu pâle et comme inspirée, elle récita l’élégie de son enfance, Lucie, ce trésor secret.

Quand elle eut fini, toute haletante et les yeux encore voilés de poésie, elle fut surprise du silence qui d’abord accueillait son offrande romantique. Ce n’était pas du recueillement, mais plutôt une sorte de consternation.

Julien de Villevieille, avec son insolence naturelle, se chargea le premier de traduire le sentiment général.

— C’est là que vous en êtes ?… fit-il du bout des lèvres.

Et, là-dessus, le ricanement qui couvait éclata de partout.

— Ah ! non, Élysée, pas ça ! Vous n’êtes pas à la page !