Comment avez-vous pu avoir l’idée d’apprendre par cœur ce rasoir de Musset ?… Vous n’êtes donc pas au courant du mouvement actuel ?… Tenez ! Fernet va nous en réciter, des vers !
Au milieu d’un tel tumulte, rouge de honte et comme blessée à l’aile, l’adolescente eût voulu se voiler la face.
— Si vos concerts sont de cette force-là, nous risquons d’entendre du Saint-Saëns et du Puccini !
— Parions qu’elle ne connaît pas le Sacre du Printemps !
Cruelles, extériorisant quelque longue jalousie, les jeunes filles s’acharnaient.
— D’abord, conclut cyniquement la petite d’Estenol, les vers c’est très bien, mais on s’en passe.
— C’est comme la musique, enchaîna la petite Galaty. Ça va bien de temps en temps à la salle Gaveau pour sortir une robe. Mais je ne comprends pas qu’on s’abrutisse sur des pianos quand il y a le tennis, le golf, l’auto, les chevaux et le reste.
— Surtout l’auto… continuait une petite voix. Moi, quand je serai mariée, je veux ma Rolls-Royce avant tout !
Élysée, essayant de reprendre pied, lança, frémissante :
— Même avant l’amour, sans doute !
Une fusée de rires clairs l’écrasa de nouveau.
— L’amour ? Elle est décidément du vieux bateau ! Alfred de Musset, Charles Gounod, les mariages d’amour, les musées, les collections, toutes les vieilles rengaines !
— Elle veut sans doute aussi beaucoup d’enfants !
— Je vous souhaite du plaisir dans la vie !
— Et son mari ! Il s’amusera trop !
Mlle de Bussières s’étira, cligna des yeux, et dit lentement, à mi-voix, porte-parole improvisé de toute la fraîche compagnie :
— Les grandes randonnées en auto, les palaces, les sports d’hiver en Suisse, les colliers de perles, les millions, la danse, le flirt, voilà la vie !
Et comme tous et toutes se mettaient à parler à la fois, rapproché doucement d’Élysée qui restait à l’écart, Julien de Villevieille la fixa longuement d’un regard plein de choses cachées, et, sans qu’elle devinât pourquoi, murmura, grave, et, pour la première fois, presque tendre :
— Pauvre petite… Pauvre petite…