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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/115

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LE PAIN BLANC

cambrioleur caché dans la maison. Cette seule idée fit battre son cœur. Et pourquoi marchait-elle sur la pointe des pieds ?

Elle traversa le grand salon comme une ombre, ses yeux effarés regardant partout à la fois. Le petit salon lui faisait plus peur. Elle hésita sur le seuil.

Un triple cri. Celui d’Élysée, celui de Julien, celui d’Octavie.

Sur le divan bas, ils étaient couchés tous deux, enlacés, désordonnés, décoiffés. D’un bond, ils furent debout, hagards, regardant sans mot dire la jeune fille pétrifiée sur place, et pâle comme une apparition.

Mme Arnaud, la première, essaya de retrouver son sang-froid. Audacieuse, elle se mit à rire, tout en rajustant ses cheveux.

— Tu vois comment tu nous trouves ! J’ai été souffrante au moment de partir pour Versailles, et je me suis décidée à rester là. Et voilà juste M. de Villevieille qui arrive, croyant te trouver encore avant de se rendre chez sa grand’mère, pour te dire au moins bonjour. Le pauvre garçon a dû faire l’infirmier. Il me croyait morte… N’est-ce pas, Julien ?… J’en ris maintenant, mais je t’assure que ce n’était pas drôle !

— Pas du tout… articula Julien comme il put.

Un sourire tremblant s’attardait sur le petit visage stupide d’Élysée. Elle fit semblant de croire au mensonge grossier. Elle venait d’entrer tout de go dans un drame si formidable et tellement au-dessus de sa compréhension d’innocente qu’elle aimait mieux, pour un instant, ne pas admettre ce qu’elle venait de deviner.

Absolument décontenancée, lamentable comme la seule coupable de l’affaire, elle bredouilla dans un rire godiche :

— C’est curieux… Tout le monde est malade, aujourd’hui… Moi aussi. C’est pour ça que je suis rentrée… Je vais me coucher. au revoir… à ce soir…

Les yeux de proie, étincelants, la regardaient.

— Tu ne veux pas que je t’aide ?… dit mollement Mme Arnaud sans bouger de sa place.

— Non, merci… merci… Je me débrouillerai bien toute seule…

Et sans plus regarder ni l’un ni l’autre, elle s’en alla, somnambule, du côté de sa chambre.