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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/130

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LE PAIN BLANC

même la soupçonnant, ne songerait à lui tenir rigueur de rien, tant qu’elle continuerait à jouer les mères de famille.

La tête d’Élysée venait de se redresser. La lutte cessait d’être absolument inégale. La pauvre gosse prit, sans le savoir, le ton cassant qu’elle imitait parfois à son insu :

— Je veux m’en aller !… Et vous ne m’en empêcherez pas !

L’inflexion tout à l’heure si colère se fit toute douce.

— Allons, allons, ma chérie !

Mme Arnaud avançait la main pour toucher le bras de sa belle-fille.

Mais elle, levée d’un bond :

— Laissez-moi ! Laissez-moi ! Je ne veux rien, rien de vous !

— C’est bon… c’est bon ! Seulement tu n’oublies qu’une chose : tu n’as pas vingt et un ans. Avant d’être majeure, tu ne peux pas toucher un sou de ton argent.

Mais l’emportement d’Élysée ne tomba pas :

— Ça m’est égal ! Je m’arrangerai ! Je ne veux pas vivre un jour de plus avec vous ! Et vous savez très bien pourquoi !

Seule tactique à suivre : ne pas entendre. Après avoir rêvé quelques secondes, Octavie Arnaud releva le front.

— Écoute… Tu n’es qu’une enfant gâtée. Tu ne sais pas ce que tu dis. Je comprends que la mort de ton père… Bref ! Puisque je ne suis plus rien pour toi, malgré tout ce que j’ai fait pour te rendre heureuse, c’est moi qui vais m’en aller d’ici. Mais si, mais si !… Je vais aller téléphoner à l’instant, retenir ma place. Ce soir même, je serai partie pour le Midi. J’y resterai un mois. Si on te demande pourquoi, tu diras que je suis souffrante, que je n’en peux plus, et que toi, tu restes là pour régler différentes affaires. Je te laisse la maison, les gens, l’auto, tout ! Tu es chez toi. Fais tout ce que tu voudras ; et surtout, réfléchis !… Et si tes idées idiotes persistent, pense seulement à une chose : tu peux faire grand tort à la mémoire de ton père. Je ne te dis pas un mot de plus.

Levée, généreuse :

— Au revoir, ma pauvre petite !

Sur le seuil, elle ne s’attarda que juste le temps d’un geste vague.

Quand elle eut entendu sa belle-mère partir, elle soupira, déli-