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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/22

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LE PAIN BLANC

de cette façon-là. C’est une farce qu’il a arrangée. C’est bien naturel, puisqu’il est médecin et qu’elle est malade… »

Elle avait appris ce mot nouveau : Névropathe. Longtemps elle y pensa, tout étonnée encore.

« Maman est une névropathe. »

Son cœur se serrait. Elle la revoyait, l’autre soir, avec sa figure découragée et ses yeux qui appelaient au secours. Ensuite, tant de douceur, des gestes si calmes…

« Elle est déjà guérie ! Papa va revenir ! Tout le monde va être heureux ! »

Oiseau qui sent trembler le nid, elle ne pouvait pas ne pas croire que ce nouvel appartement, cette richesse subite, ces deux bonnes, ces beaux meubles, tout ne fût pas réuni là pour l’organisation du bonheur.

Quelle joie de revoir son père, bientôt ! Il n’y aurait plus, à la maison, que des sourires.

C’était, dans son cœur de petite fille, un grand besoin d’union familiale, un instinct qui lui disait que l’accord, général était nécessaire pour que son enfance fût bercée comme elle devait l’être, protégée, menée à bien, sa pauvre enfance humaine, aussi fragile que celle du petit oiseau, lequel est encore couvé par son père et sa mère longtemps après qu’il a cessé d’être un œuf.

« Papa et maman s’aiment bien tout de même. Moi, je le sais. Maman nous a raconté souvent son mariage. Elle n’était pas riche, elle donnait des leçons de chant pour nourrir sa mère, qui est morte avant ma naissance. Justement, quand sa mère a commencé à être malade, elle a connu papa, qui venait d’être docteur. C’est comme ça qu’elle l’a aimé. Et ils se sont épousés. Et papa aimait tant maman qu’il n’a plus voulu qu’elle donne des leçons de chant. Alors ils ne peuvent pas se quitter comme ça… »

Dix ans. Assise sur le matelas nu de ce divan qui ne serait peut-être jamais fait, toute seule au milieu du grand salon fou, pensive, elle remuait les problèmes de l’amour conjugal ! C’était elle l’être réfléchi, raisonnable, c’étaient ses parents les impulsifs, les déraisonnables. Elle ne savait pas qu’ils lui volaient son enfance. Vautrés dans l’égoïsme monstrueux de tous ceux qui se permettent de songer au divorce quand ils ont des enfants, ils se croyaient encore un simple couple qui s’unit et se sépare au