Aller au contenu

Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LE PAIN BLANC

Le résultat des manèges de Mme Arnaud ne s’était pas fait attendre longtemps.

Tous les étages de la maison étaient au courant de l’histoire. On regardait curieusement Élysée quand elle sortait avec sa bonne. Elle s’en apercevait, et souffrait. Encore que n’ayant connu que bohème et bizarreries, elle était née pour la paix, l’ordre et la mesure.

Quant au jeune médecin célibataire, il prit le parti de renvoyer à Mme Arnaud ses lettres non décachetées et de la faire éconduire par son domestique.

— Ton père ne pouvait avoir pour ami qu’un mufle de son genre, c’était tout indiqué !

Désemparée, la morbide querelleuse recommença bientôt à s’exaspérer contre sa fille. Élysée, parce qu’elle demandait à aller voir ses frères, dont on n’avait aucune nouvelle, reçut une paire de claques.

— Des débauchés qui t’ont traînée dans leur débauche ?… Tu ne les verras pas de longtemps ! Quand j’irai au lycée, j’irai toute seule !

Elle y apprit que ses fils étaient des cancres, et animés du plus mauvais esprit.

— C’est demain que je m’occupe de ton cours !… recommença-t-elle en rentrant, sans doute par simple association d’idées.

Et la voilà repartie, le chapeau de travers, en quête d’une nouvelle agence secrète, puisque la sienne n’est qu’une bande de voleurs.

Le soir qu’elle rentre à l’improviste, elle découvre Élysée dans le cabinet de son père, le nez dans son livre, absorbée.

— Ah ! c’est comme ça que tu étudies ton piano, menteuse !

Après la paire de claques :

— Alfred de Musset !… C’est du joli !… Tu lis Namouna, naturellement.

À travers ses sanglots, la petite, interloquée, essaie de dire qu’elle ne lisait pas Namouna. Sans l’écouter :

— Je te défends, tu entends ! je te défends de lire des livres qui ne sont pas pour les petites filles ! Ah ! il est bien temps que je te trouve un cours ! Tu vas devenir aussi vicieuse que tes frères ! Tu n’as pas honte, à ton âge ?…