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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/38

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LE PAIN BLANC

Oh ! la longue rêverie, un peu plus tard, la tête dans l’oreiller ! C’était donc une lecture défendue, tout ce charme qui berçait comme la musique ? Élysée, maintenant, ne pourra plus, dans l’ombre du cabinet paternel, goûter en silence la paix et la consolation de son cher livre.

— Alfred de Musset… songe-t-elle, séduite par un si beau nom.

Et, les yeux grands ouverts dans la nuit, elle fait le projet de cacher le volume quelque part pour le lire le soir, dans son lit, quand maman sera bien persuadée qu’elle dort.

Marcelle Arnaud, dès le lendemain, se mit fermement en campagne. Un obscur instinct la poussait. Faire élever ses enfants par d’autres, puisque son détraquement la détournait sans cesse de son devoir, il lui semblait que c’était bien agir. Et c’était bien agir, en effet.

Les réponses aux lettres qu’elle envoyait à des adresses diverses, trouvées au hasard d’annuaires et de prospectus, parvenaient une à une.

Elle porta son choix sur l’institution dont les prix étaient les plus élevés. Et ce raisonnement n’était pas mauvais non plus.

Et ce fut le soir où elle prononça :

— C’est demain qu’on vient te chercher…

La petite ne dormit pas, condamnée innocente qui va partir pour la prison.

Levée très tôt, empruntée dans sa robe noire de pensionnaire, avec la natte exigée emprisonnant ses beaux cheveux libres, elle attendit, le cœur évanoui, les joues vertes, en rôdant une fois de plus dans l’appartement fou.

Avait-elle jamais cru qu’elle regarderait ces murs hostiles avec cette espèce d’épouvante de l’adieu ?