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Page:Delarue-Mardrus - Le Pain blanc, 1932.djvu/71

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LE PAIN BLANC

dessus. Calme et goûtant un repos infini, le visage que maman avait pris était celui qui la transfigurait lorsqu’elle chantait. Et si parfaite était la ressemblance qu’Élysée, tout à coup, réalisa que jamais plus elle n’entendrait la voix admirable de sa mère.

Une sorte d’irritation étrange lui venait de la voir ainsi muette, couchée et tout habillée, ayant, sur ses traits de cire, cette espèce de dédain qui rend si distant le visage des morts.

Toute épouvante disparue, la petite se pencha comme familièrement et appela tout bas, sur un ton presque scandalisé :

— Maman ?…

Là-dessus, Jacques eut un petit mot surprenant, tragique.

— Laisse-la ! souffla-t-il. Nous n’avons jamais été rien pour elle.

Ils étaient revenus tous trois dans le salon. Le jour commençait à baisser.

— Et papa ?…

— Nous n’avons pas son adresse au front, dirent-ils. Les bureaux font des recherches pour pouvoir le prévenir.

— Et l’enterrement ? Quand ?

— Après-demain matin, à neuf heures.

Élysée ne put s’empêcher de calculer : « À onze heures, je serai dans le train pour retourner là-bas ! » Elle chassa cette pensée avec remords, et demanda :

— Où l’enterre-t-on ?…

— Nous ne savons pas encore, c’est le notaire qui s’occupe de tout.

Oh ! tristesse, hostilité !

Après un petit silence :

— Retournons la voir !… dit Élysée Nous devrions être tous trois près d’elle.

— Retournes-y !… dit Max. Nous n’avons plus de perm’ que pour après-demain. Il faut que nous soyons rentrés tout à l’heure, chacun dans notre bureau.

Élysée avait bondi.

— Vous n’allez pas me laisser toute seule ?…

Froidement, Jacques la toisa :

— C’est la guerre, ma chère…