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Page:Delbos - De Kant aux postkantiens, 1940.djvu/12

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2. Il faut aller plus loin. Delbos se défiait même de la dialectique des vivantes idées, enracinées dans l’histoire vécue ; et cela à un double titre. — D’abord, sa science du concret ne pouvait s’accommoder d’une thèse abstraite et générale d’après laquelle l’histoire, en ses réalisations toujours provisoires et ambiguës, deviendrait l’incarnation productrice de la vérité, de la justice et du droit : une telle généralisation lui paraissait arbitraire et inconséquente avec les principes mêmes dont elle se réclame. — En outre, il avait le vif sentiment et aussi la claire vision de l’erreur foncière, de la faute qui consiste à conférer au devenir la valeur d’absolus successifs, à exiger au profit de ce qui passe et change les impérieux privilèges d’une transcendance en soi, à traiter l’indéfini virtuel comme un infini réel, à chercher une échappatoire dans la pensée impersonnelle et l’intelligibilité pure en prétendant éliminer la primauté spirituelle de la conscience et de l’intelligence. C’est pourquoi, sans introduire prématurément aucune conviction personnelle dans les grands débats dont il se fait le narrateur, il excelle à manifester comment, à chaque tournant des grandes épopées métaphysiques qu’il décrit, les conclusions qui semblaient victorieuses se trouvent exposées à d’imprévus renversements de perspective. Jamais peut-être on n’avait assisté à de plus intrépides joutes d’idées que celles de ces métaphysiciens allemands du xixe siècle. Mais là où l’argumentation semblait définitive, il se trouve que, chez les adversaires, chez l’auteur même d’une doctrine, surgissent de nouveaux aspects, des principes imprévisiblement mis en valeur qui forcent le même auteur à des philosophies successives ou provoquent ses émules à des