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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/224

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quelque chose. Quand on s’en occupa, ce fut pour lui apprendre le mal. Oh ! alors on ne lui donna que trop de soins. On ne la suivit que de trop près, on ne l’encouragea que trop dans cette mauvaise voie, on ne sut que trop bien guider ses pas. Comme vous l’aimiez dans ce temps-là ! Et puis ça vous rapportait gros. Ce qui est arrivé à cette fille arrive tous les ans à des milliers d’autres. Ce n’était qu’une fille perdue de plus. Comme si elle n’était pas née pour ça !

— Après tant d’années, dit d’une voix plaintive la vieille, voilà comme elle commence.

— Elle aura bientôt fini, dit Alice. Il y eut donc une coupable appelée Alice Marwood ; c’était une jeune fille encore, mais seule et abandonnée. Elle fut jugée et condamnée. Ah ! Dieu, comme MM. les juges parlaient de son crime ! et le président, comme il fut sévère, quand il lui parla de ses devoirs, auxquels elle avait failli, des dons de la nature qu’elle avait employés pour le mal, comme s’il ne savait pas mieux que personne que ces dons n’avaient été qu’une malédiction pour elle. Quel beau sermon il lui fit sur le bras plein de force de la loi, bras bien fort, en vérité, pour la sauver, du temps qu’elle n’était qu’une pauvre petite innocente sans secours et sans appui ! comme tout cela était solennel et religieux ! J’y ai souvent pensé depuis ! » Elle croisa ses bras plus étroitement sur sa poitrine et fit entendre un rire auprès duquel le hurlement de la vieille femme était presque harmonieux. « Alice Marwood fut donc déportée, mère, poursuivit-elle. On l’a envoyée apprendre son devoir dans un endroit où, au lieu du devoir, on n’apprend que le mal, le déshonneur et l’infamie ! et Alice Marwood est revenue femme : elle est revenue ce qu’elle devait être après un tel exil.

« Quand le temps sera venu, les choses se passeront encore avec plus de solennité, les sermons seront encore plus beaux, le bras de la loi sera encore plus fort, et il ne sera plus question d’Alice Marwood ; mais, après elle, les juges n’ont que faire de craindre de n’avoir plus de besogne. Il y a encore un tas de petits vagabonds, filles ou garçons, qui grandissent dans les rues et qui leur donneront assez d’occupation pour faire leur fortune. »

La vieille femme appuya ses coudes sur la table, cacha sa figure dans ses mains et fit semblant d’avoir un profond désespoir… Après ça, qui sait ? c’était peut-être vrai.

« Allons, j’ai fini, mère, dit la fille en secouant la tête