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Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/226

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« Comment avez-vous vécu ?

— En mendiant, ma chérie.

— Et aussi en volant, mère ?

— Quelquefois, Alice, mais de petites choses. Je suis vieille et timide. Je prenais de temps en temps des riens à des enfants que je rencontrais, mais bien rarement. J’ai fait quelques tournées dans la campagne, ma chérie, et je sais bien ce que je sais. J’ai guetté.

— Guetté ? répliqua sa fille en fixant son regard sur elle.

— J’ai suivi à la piste une famille, dit la vieille d’un ton de plus en plus humble.

— Quelle famille ?

— Chut ! chérie ! ne vous fâchez pas contre moi : c’est pour vous que je l’ai fait, pour ma pauvre fille qui était bien loin au delà des mers ! »

Elle tendit une main suppliante vers sa fille, et, la ramenant à elle, la porta à ses lèvres.

« Il y a bien des années, ma chérie, poursuivit-elle en regardant d’un air craintif le visage sévère de sa fille, j’ai rencontré son enfant par hasard.

— L’enfant de qui ?

— Ce n’est pas le sien, chère Alice, ne me regardez pas ainsi, ce n’est pas le sien. Comment voulez-vous que ce soit le sien ? vous savez bien qu’il n’en a pas.

— L’enfant de qui alors ? reprit la fille, vous m’avez dit son enfant.

— Chut ! Alice. Vous m’effrayez, ma petite. C’est celui de M. Dombey, de M. Dombey seulement. Depuis, ma chère, je les ai revus souvent, je l’ai même vu aussi lui. »

En prononçant ce dernier mot, la vieille se baissa et recula soudain, comme si elle craignait que sa fille ne la frappât. Mais sa fille, qui avait les yeux fixés sur elle, et qui semblait en effet en proie à la plus violente colère, demeura immobile ; seulement elle serrait fortement ses deux bras entrelacés sur sa poitrine comme pour les empêcher de se porter à des voies de fait sur elle-même ou sur quelque autre, tant elle était aveuglée par la rage.

« Il ne se doutait pas que c’était moi, dit la vieille femme en montrant son poing fermé.

— Et il s’en souciait fort peu, sans doute ! dit la jeune fille entre ses dents.

— Mais enfin nous nous sommes vus face à face, dit la vieille.