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Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/258

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— Ni recul, ni fumée, dit l’interprète émerveillé ; on voit bien que j’ai vécu en sauvage dans le Sahara depuis deux ans, tout préoccupé du Transsaharien. Toutes ces nouveautés m’ont échappé.

— On avait déjà obtenu ce double résultat avec les modèles précédents, répondit l’ingénieur ; mais ce qui me semble le plus extraordinaire, c’est l’absence de bruit.

— En effet ; mais alors de quoi va se composer une rencontre ? reprit Saladin. Déjà les peintres étaient désespérés du manque de fumée qui donnait une si grande allure aux tableaux de bataille ; mais les poètes pouvaient encore décrire un combat en l’agrémentant du crépitement de la fusillade et en le faisant dominer par le grondement du canon. Aujourd’hui plus rien.

— Non, plus rien que les cris des combattants, les hurlements des blessés et les commandements des chefs ; ce qui fera encore une jolie musique.

— De sorte, reprit l’interprète, qu’on pourra se figurer être revenu aux temps antiques, car ce fusil ne diffère en somme de l’arbalète que par ses effets.

— Moi, fit Guy, qui depuis un instant n’avait pas parlé, je regrette ce progrès, car ainsi conçu le fusil à hydrogène devient l’arme de l’assassinat.

— De l’assassinat ! fit l’interprète, vous croyez ?

— À n’en pas douter, répondit le jeune homme. On tuera un homme sans que son voisin voie d’où part le coup, sans que ce voisin sache même que cet homme est frappé et pourquoi il tombe ; quand le système sera appliqué aux revolvers les vengeances anonymes auront beau jeu ; on tuera un ennemi endormi sans que personne entende ; on enverra une balle dans une foule à quelqu’un sans se faire remarquer. Bien plus, on évitera de donner à cet engin la forme trop connue du revolver ou de la carabine ; on le dissimulera dans une canne, dans un parapluie, dans une lorgnette… que sais-je ; d’un geste absolument inoffensif on mettra en joue et on tuera l’ennemi sans méfiance… c’est l’arme de l’assassinat, vous dis-je.

— C’est vrai, fit l’interprète, voilà un côté de la question bien curieux à envisager.