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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/196

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suivait et l’officier eut la sensation qu’un malheur était dans l’air.

Il s’assura que son revolver, qui ne le quittait jamais, était garni de cartouches.

— As-tu vu, dit la jeune fille en se serrant fiévreusement contre lui, as-tu vu comme il m’a regardée ?… J’ai peur ! oh ! vois-tu, j’ai peur ! Pourquoi ne fuyons-nous pas ? N’y a-t-il pas près d’ici des soldats de ton pays ? Qui nous verrait dans cette nuit noire ?

— Et ma parole, Nedjma, ne t’en souviens-tu pas ? toi tu pourrais fuir, mais moi…

— Partir sans toi ! mais j’aimerais mieux tout de suite me jeter dans cette eau noire qui me fait trembler pourtant : quelle différence avec le bel océan bleu de mon pays !

— Pourquoi craindre, Nedjma, ne suis-je pas avec toi ?

— Oui, dit-elle, mais tu es seul : que pourrais-tu au milieu de toutes ces bêtes féroces ? Enfin, nous aurons toujours la chance ce soir de ne pas monter dans la même barque que cet horrible Mounza, car le voilà parti.

— Il en faut trouver une autre, dit de Melval ; ce n’est pas cela qui manque : je n’ai qu’un regret, c’est que Zahner ne soit pas avec nous ; par bonheur il nous reste Hilarion.

Et comme il appelait le tirailleur assis philosophiquement à quelques pas, deux soldats de l’escorte du Sultan s’avancèrent vers lui, et comme s’ils eussent deviné son désir, lui montrèrent une sorte de sampan qui venait d’être poussé à l’eau.

C’était une embarcation très basse dont la proue était relevée en col de cygne et qui pouvait contenir une douzaine hommes : son mât supportait une voile en fibres d’ëlaïs, comme celles des naturels de la côte somali.

Deux Danakils, vétus d’un simple pagne, étaient déjà installés à l’avant, appuyés sur leurs rames, et à l’arrière un indigène de haute taille, revêtu d’un épais burnous, tenait la godille qui servait de gouvernail.

— Viens, Hilarion ! dit l’officier.

Il aida la jeune fille à franchir le bordage ; les deux soldats de la garde noire, la carabine en bandoulière, sautè-