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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/254

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voici encore une lettre ; j’ai beaucoup hésité à vous la remettre, mais je m’y suis décidé au dernier moment. Elle est pour la fille de M. Fortier, l’ingénieur du Transsaharien dont vous parliez ce matin.

— Mlle Fortier ! une bien jolie jeune fille ; elle éclipsait toutes les autres au bal d’Alger ! Je m’en souviens à merveille… Faut-il que cette lettre passe par les mains paternelles d’abord ?

— Non pas… elle est pour elle seule !

— J’ai compris ; vous savez bien que le moindre de vos désirs est sacré pour moi.

L’embarquement s’achevait au milieu du plus profond silence.

Nedjma venait de revenir ; elle avait pris le bras du jeune officier, comme si elle eût craint qu’au dernier moment on ne vint le lui enlever.

Elle ne songea pas un instant à le prier de partir avec elle, non pas qu’elle connût la valeur de la parole d’honneur, mais il avait déclaré qu’il devait rester et elle n’en demandait pas davantage pourvu qu’il la gardât.

— J’ai le cœur serré, murmura Pol Kardec.

Il ouvrit les bras, de Melval s’y jeta avec effusion.

Deux grosses larmes roulèrent dans ses yeux.

Non, il n’avait pas oublié Christiane ; car à cette heure et sans qu’il osât se l’avouer, c’était à elle, à elle seule qu’allait sa pensée.

— Capitaine, dit à son tour le colonel Collington, à qui l’officier avait fait part dans la journée de sa décision, ce que vous faites là est beau et grand : respecter sa parole d’honneur dans une guerre entre peuples civilisés, c’est faire son devoir, rien de plus. La tenir vis-à-vis de barbares comme ceux-là, c’est être héroïque. Je vous admire, et si Dieu vous sauve, rappelez-vous que vous honorerez grandement ma maison en venant me voir en Irlande, à Limerick, où j’espère bientôt me retirer.

Après lui mistress Collington embrassa Nedjma, et plusieurs officiers, au courant de la situation, vinrent adresser aux deux jeunes gens un muet adieu. On eût dit un défilé de parents devant une tombe ouverte.