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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/255

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L’embarquement n’avait pas duré plus d’une heure. Il s’était effectué dans une telle obscurité que les navires turcs n’avaient pu s’en douter.

Il était temps d’ailleurs qu’il se terminât, car il fallait que les embarcations fussent hors de vue avant la pointe du jour.

Debout sur un rocher à fleur d’eau, de Melval les vit s’éloigner, et quand elles eurent disparu dans la nuit, une larme jaillit de ses yeux.

Il ressemblait à ce prisonnier qui, après de longs mois de réclusion douloureuse, a obtenu par exception de regarder quelques heures par une fenêtre la vie bruyante et joyeuse de l’extérieur.

Il avait regardé, il s’était souvenu, et maintenant la fenêtre se refermait.

Il retombait dans sa morne solitude pour combien de temps ?

— Lioune, fit auprès de lui la voix douce de Nedjma… je suis là, moi !

On eût dit qu’elle lisait au fond de son âme. Toujours aux heures tristes il la retrouvait fidèle à ses côtés.

Comment ne l’aurait-il pas aimée ?

Et pourtant il venait d’en faire l’épreuve, le souvenir de Christiane était toujours là impérieux, cuisant, ineffaçable.

Il emporta la jeune fille pour passer avec elle, à l’abri, les quelques heures qui le séparaient du jour. Il avait hâte, d’ailleurs, de retrouver le pauvre Hilarion qu’il avait laissé étendu dans une des rares casemates encore debout, très éprouvé par le violent coup de pied qu’il avait reçu.

Sa mâchoire inférieure disparaissait au milieu des bandages dont le docteur de Périm avait entouré sa tête ; il avait craché six dents, et une abondante hémorragie l’avait sérieusement affaibli.

Mais en revoyant son capitaine, son esprit gouailleur reprit le dessus, et comme ce dernier le remerciait encore des deux preuves de dévouement qu’il venait de lui donner :

— Pas la peine, allez, mon capitaine, de me remercier, dit-il d’une voix mal articulée : seulement quand nous arriverons dans un pays ousqu’il y aura un bon dentiste, vous m’achèterez un râtelier.