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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/71

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cherché et trouvé, à travers l’immensité des déserts, le Maître qu’il s’était donné, et maintenant il allait jouer sa partie dans cette lutte de deux races, dans cet assaut de deux continents.

Son rêve s’élargissait : il se vit à Constantinople, investi de la confiance du Chef des croyants, occupant une des marches de son trône, puis chef redouté planant au-dessus de son armée et, à sa tête, atteignant Paris.

Paris, devenu décidément le but final de tous.

Du Sultan d’abord, puisque, arrivé là, il ne laisserait plus derrière lui que des ruines, et des peuples soumis ou esclaves.

Du prince Omar, qui nourrissait l’espoir secret et inavoué d’y retrouver ses souvenirs de vingt ans.

De Melval, enfin, dont l’amour pour Christiane, un instant voilé, avait résisté à tous les assauts de l’oubli.

C’était Christiane aussi que Saladin visait à travers tous ces crimes et ces trahisons, mais avec la volonté bien arrêtée de se présenter à elle, non plus en suppliant, mais en maître.

Cette civilisation surchauffée, raffinée de la vieille Europe, qui avait fait de la femme l’égale de l’homme, qui l’entourait de considération et de respect, tout cela allait s’effondrer : la barbarie revivrait dans ces pays conquis par une race nouvelle, et avec elle l’esclavage, l’esclavage antique.

Cette fière jeune fille, qui l’avait jeté à la porte de façon si hautaine, il la tiendrait dans sa main et en ferait cette chose résignée, mais toujours prête qui se cache dans les harems.

Et il lui courait des frissons à fleur de peau à la pensée des plaisirs qu’il se promettait, lorsque, arrivé sur l’un des quais de l’ancienne Khartoum, il s’entendit appeler.

— Saladin !… Eh bien ! Saladin !…

Il tressaillit et instinctivement se retourna… ne réfléchissant pas qu’ainsi il faisait l’aveu le plus clair de son identité.

Il se trouva face à face avec un Arabe à barbe de fleuve, aux yeux bleus, qui lui mit sans façon sa lourde main sur l’épaule en disant en français :

— Eh, oui ! c’est bien lui, ce vieux brigand de Saladin !