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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/124

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LE DÉPÔT.

il fit lire à Ferré : « Ruault Gilbert, inculpé d’avoir colporté des chansons bonapartistes, arrêté le 19 avril, transféré à la Santé le 18 mai par ordre d’Edmond Levraud. » Ferré ne remarqua ni la différence des noms de baptême, ni celle des dates de l’arrestation, ni celle du numéro d’écrou ; il pesta contre son chef de division. Braquond avait été bien servi par sa mémoire, et il venait de sauver un innocent[1].

Ferré recommença à fureter dans le registre, tout en disant à Braquond, d’un ton radouci, comme un homme qui se sent dans son tort : « Eh bien, puisque Ruault n’est plus ici, — que le diable emporte Levraud ! — allez me chercher Michel. » Braquond demanda : « Lequel ? » Ferré devint blême, il crut que l’on se moquait de lui. Braquond lui dit, avec cette tranquillité des vieux soldats qui finissent par ne plus s’émouvoir de rien : « Mais oui, citoyen, lequel ? Tout le monde se nomme Michel, nous en avons peut-être une demi-douzaine ici. Indiquez-moi le Michel que vous voulez, j’irai l’appeler. » Sous prétexte d’aider aux recherches, Braquond parvint encore à les rendre plus lentes et plus confuses. Feuilletant le registre d’écrou, il désignait à Ferré : « Michel Louis-Pierre, gardien de la paix ; — Michel, Jules~Alfred, vidangeur ; — Michel, Xavier, employé ; — Michel, Henri-Louis, ex-sergent de ville. » Ferré se perdait au milieu de cette quantité inattendue de Michel et ne savait pas trop lequel choisir. Il ordonna d’amener le dernier ; on se mit donc à l’appeler avec la certitude

  1. Joseph Ruault fut recherché avec passion par la Commune ; au moment où Ferré le réclamait au Dépôt, ce malheureux était à Mazas. Le Ruault qui avait été écroué sous son prénom et que Braquond venait de sauver s’appelait en réalité François. Les erreurs de noms sur les mandats d’arrestation furent fréquentes pendant la Commune. Nous en avons déjà donné la preuve plus haut, en racontant un fait qui nous est personnel.