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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/346

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LA GRANDE-ROQUETTE.

voir pas mangé depuis la veille. Bourguignon se contenta de transmettre l’ordre aux gardes nationaux, puis, prenant sa course par le chemin de ronde, il contourna la moitié de la prison et entra à l’infirmerie, où son camarade Pinet était de service. Il lui cria : « Ils sont là, ils viennent chercher les prêtres et les gardiens de la paix pour les tuer. » Pinet répondit : « Il ne faut livrer personne. » Pinet était un ancien soldat, employé aux prisons depuis quelques années ; réengagé pendant la guerre, mis plusieurs fois à l’ordre du jour, porté pour la croix, il avait repris son poste à la Roquette après l’armistice. Nous avons dit comment il avait vainement essayé de sauver les gardes de Paris. C’est un homme d’une rare bravoure et très capable de risquer sa vie dans une aventure qui tenterait son courage. Son plan fut immédiatement arrêté : faire révolter les détenus criminels, pousser les otages à la résistance et s’associer à eux. Bourguignon et lui se jetèrent au guichet central, prirent les clefs des grilles de la deuxième, de la troisième section et celles des ateliers[1].

Les détenus condamnés se promenaient dans la cour. Pinet les fit rentrer aux ateliers et leur dit : « On vient vous chercher pour vous fusiller, armez-vous de vos outils et défendez-vous ; nous serons avec vous et nous vous aiderons. » On se précipita sur les valets de menuiserie, les limes, les marteaux de forge, les alênes,

  1. À la Grande-Roquette, prison déjà ancienne, inaugurée le 22 décembre 1836, construite avant l’amélioration des maisons pénitentiaires, il n’existe pas de passe-partout ; chaque section a ses clefs particulières. On y possède cependant des doubles clefs, dites clefs de secours. Celles-ci, ordinairement déposées dans une petite armoire, près de l'avant-greffe, avaient été, pendant la Commune, transportées au guichet central. Pinet et Bourguignon, s’étant emparés de celles de la deuxième et de la troisième section, nul, sans leur concours, ne pouvait plus ouvrir les grilles du second et du troisième étage dans le bâtiment de l’est.