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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/154

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qu’il avait toujours fait paraître ; qu’il se trompait fort, s’il croyait plaire à l’empereur, en persécutant des gens que Sa Majesté honorait de sa bienveillance ; que l’exemple du prince devait faire plus d’impression sur lui, que les arrêts de tous les tribunaux ; qu’il devait former sa conduite sur celle de la cour, qui ne voulait plus suivre les anciens édits ; qu’enfin l’empereur lui saurait gré de ce qu’il ferait en faveur des missionnaires ; et je serai moi-même, ajouta-t-il, très sensible aux bons offices que vous leur rendrez à ma recommandation.

En toute autre occasion, le viceroi se serait cru trop honoré de recevoir des lettres du prince So san, qui était proche parent de l’empereur, l’un de ses premiers ministres, et grand maître du palais ; mais fâché de voir que des étrangers eussent tant de crédit à la cour, ou aveuglé par la haine qu’il portait aux chrétiens, il n’en devint que plus furieux. Il s’empara de plusieurs églises, qu’il donna aux prêtres des idoles : il en arracha les sacrés monuments de la religion : les croix furent brisées, les autels profanés, les saintes images livrées aux insultes des idolâtres. Il fit de nouvelles ordonnances plus remplies de menaces et d’invectives, que la première. Plusieurs chrétiens furent traînés aux tribunaux : il y en eût d’emprisonnés, d’autres qui furent condamnés à de cruelles bastonnades, et qui confessèrent généreusement le nom de Jésus-Christ au milieu des tourments.

Parmi ces illustres confesseurs, un médecin nommé Tchang ta teou, se distingua, et édifia cette chrétienté par sa foi et sa constance. Continuellement il parcourait les maisons des fidèles, et les fortifiait dans ce temps d’épreuve, par des discours pleins de piété et de ferveur. Le mandarin qui en fut averti, le fit charger de chaînes, et le fit traîner à son tribunal, où il fut condamné à recevoir une rude bastonnade.

Un jeune homme, que ce fervent chrétien avait tenu sur les fonts de baptême, vint alors se jeter aux pieds du juge, et le conjura, les larmes aux yeux, de permettre qu’il reçût ce châtiment pour son parrain. Le médecin n’eut garde de céder sa place à son filleul : « Hé ! quoi, mon, fils, lui dit-il, voudriez-vous me ravir la couronne que Dieu m’a préparée ? »

Il se fit pour lors un combat entr’eux, qui étonna le juge, et qui attendrit les assistants. Tchang ta teou fut battu d’une manière cruelle, et souffrit cette sanglante exécution avec une patience et un courage, dont on n’avait pas encore vu d’exemple. Ses parents, qui s’étaient trouvés à ce triste spectacle, se préparaient à le transporter dans sa maison ; mais il voulut absolument être conduit à l’église du père Intorcetta, que le viceroi n’avait pas encore fait fermer : il eut assez de force pour s’y traîner lui-même, en s’appuyant sur les bras de quelques chrétiens : il y arriva baigné dans son sang, et s’offrant en sacrifice au Seigneur : sa douleur était, disait-il, de n’avoir pas mérité la grâce de le répandre jusqu’à la dernière goutte pour la défense de son saint nom.

Cet exemple de fermeté fit tant d’impression, même sur les idolâtres, que plusieurs, parmi lesquels il y en avait d’un rang distingué, demandèrent le saint baptême.