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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/155

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Au même temps le viceroi reçut deux lettres du prince So san ; l’une était adressée au père Intorcetta, et il le chargeait de la remettre au plus tôt à ce missionnaire : l’autre était remplie de reproches sur le peu de cas qu’il faisait de sa recommandation, et sur ce qu’il aimait mieux se faire l’instrument de la passion de certaines gens qui l’aigrissaient contre les chrétiens, que de suivre les conseils d’ami qu’il lui donnait. Cette seconde lettre embarrassa le viceroi : il craignait d’un côté le ressentiment d’un ministre si puissant et si accrédité : d’un autre côté, il s’était si fort engagé, qu’il ne croyait pas pouvoir reculer avec honneur. Il prit le parti de laisser les choses dans l’état où elles étaient, sans les pousser plus loin, et d’envoyer un de ses officiers à Peking, pour justifier en apparence sa conduite auprès du prince So san ; mais en effet pour irriter, s’il était possible, les principaux mandarins du Li pou[1] contre les missionnaires.

L’officier arriva à la cour : mais le prince So san ne voulut point l’écouter. Il lui dit seulement, que c’était par amitié pour le viceroi, qu’il avait tâché de prévenir le malheur où il se précipitait par ses emportements ; mais que les missionnaires avaient imploré la protection de l’empereur, et que Sa Majesté saurait bien leur rendre justice, sans qu’il s’en mêlât. L’officier fut si étourdi de cette réponse, qu’il partit à l’instant pour en aller rendre compte à son maître.

En effet, les Pères qui étaient à Peking, après avoir consulté le prince So san, et surtout après avoir recommandé à Dieu une affaire, dont le bon ou le mauvais succès entraînait le solide établissement, ou la ruine entière de la religion, s’étaient rendus au palais pour demander audience. L’empereur envoya un de ses officiers nommé Tchao, qui affectionnait les missionnaires, pour savoir ce qu’ils demandaient : et après en avoir fait le rapport au prince, il revint leur rendre la réponse de Sa Majesté, qui les accabla de douleur.

« L’empereur, leur dit-il, est surpris de vous voir si entêtés de votre religion : pourquoi vous occuper si fort d’un monde, où vous n’êtes pas encore ? Jouissez du temps présent : votre Dieu se met bien en peine des soins que vous prenez : il est assez puissant pour se rendre justice, sans que vous vous mêliez de ses intérêts. »

Cette réponse, à laquelle les Pères ne s’attendaient pas, les consterna : ils se prosternèrent à terre, en versant un torrent de larmes. « C’est donc ainsi, dirent-ils, que l’empereur nous abandonne ? C’est par nous que l’empereur commence à laisser opprimer des innocents ? Rapportez-lui le triste état où vous nous voyez, et n’oubliez pas de lui dire qu’il est redevable de toute sa grandeur au Dieu du Ciel et de la Terre, pour lequel nous combattons, et que la moindre partie de sa reconnaissance, est d’employer son autorité à empêcher qu’on ne l’outrage. »

Les Pères attendirent la dernière réponse de l’empereur, toujours prosternés à l’une des portes du palais. Sa Majesté leur fit dire par le même

  1. Tribunal des Rits.