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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/177

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Avec cette autorité suprême et absolue, qu’il exerçait sur des peuples soumis, et presqu’idolâtres de leur prince, il ne perdit point de vue l’équité et la justice, n’usant de son autorité que dépendamment des lois ; et dans la distribution des emplois et des dignités, n’ayant presque jamais d’égard qu’à la probité et au mérite.

Tendre envers ses sujets, on le vit souvent dans des calamités publiques, compatir à leur misère, en se privant de tout divertissement, en remettant à des provinces entières le tribut annuel, qui montait quelquefois à trente ou quarante millions, en ouvrant les greniers publics, et fournissant libéralement aux besoins d’un grand peuple affligé. Il se regarda toujours comme le père de son peuple ; et cette idée qu’il se forma presqu’aussitôt qu’il monta sur le trône, le rendit affable et populaire : c’est ce qu’on remarquait, surtout lorsqu’il faisait la visite des provinces : les Grands de sa cour étaient surpris de voir avec quelle bonté il permettait à la plus vile populace de l’approcher, et de lui porter ses plaintes.

Quoique la puissance et les richesses d’un empereur de la Chine soient presque immenses, il était frugal dans ses repas, et éloigné de tout luxe pour sa personne : mais aussi il devenait magnifique dans les dépenses de l’État, et libéral jusqu’à la prodigalité, lorsqu’il s’agissait de l’utilité publique, et des besoins de l’empire.

La mollesse, qui règne dans les cours des princes asiatiques, ne fut jamais de son goût. Loin des délices de son palais, il passait certain temps de l’année dans les montagnes de Tartarie : là, presque toujours à cheval, il s’exerçait dans ces longues et pénibles chasses, qui endurcissent à la fatigue, sans néanmoins rien relâcher de son application ordinaire aux affaires de l’État, tenant ses conseils sous une tente, et dérobant jusqu’à son sommeil, le temps nécessaire pour écouter ses ministres, et donner ses ordres.

Partagé entre tant de soins différents, il trouva encore le loisir de cultiver les sciences et les beaux arts : on peut dire même que ce fut sa passion favorite ; et il est vraisemblable qu’il s’y appliqua autant par politique que par goût, ayant à gouverner une nation, où ce n’est que par les lettres qu’on parvient aux honneurs et aux emplois.

Quelque habile qu’il fût dans tous les genres de littérature chinoise, il n’eut pas plutôt connaissance de nos sciences et de nos arts d’Europe, qu’il voulut les étudier et les approfondir : la géométrie, la physique, l’astronomie, la médecine, l’anatomie, furent successivement l’objet de son application et la matière de ses études.

Ce fut cet amour des sciences, qui donna aux missionnaires ce libre accès auprès de sa personne, lequel ne s’accorde ni aux Grands de l’empire, ni même aux princes de son sang. Dans ces fréquents entretiens, où ce grand prince semblait oublier la majesté du trône, pour se familiariser avec les missionnaires, le discours tomba souvent sur les vérités du christianisme. Instruit de notre sainte religion, il l’estima, il en goûta la morale et les maximes,