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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/186

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ton sévère ; s’il n’ouvre jamais la bouche que pour les reprendre et les blâmer, il les rend timides jusqu’à n’oser se produire, et dire deux mots de suite : ils conservent toute leur vie cette timidité niaise, et je ne sais quel air honteux et embarrassé. L’intention peut être bonne, on veut les former de bonne heure à la vertu ; mais on s’y prend mal, et on n’y réussira pas. Je le répète donc : le caractère de la mère est de compatir ; mais que ce soit sans trop de complaisance. Le caractère du père est de corriger ; mais que ce soit sans trop de rigueur : voilà le juste milieu.

Quand l’esprit d’un enfant commence à s’ouvrir, c’est alors qu’il faut faire couler doucement dans son âme les enseignements et les instructions. Il ne faut pas le gronder par caprice, ni le punir pour des fautes légères ; il faut ménager sa faiblesse, et s’accommoder à la portée de sa raison, qui n’est pas encore développée : songez qu’il est semblable à un bouton de fleur encore tendre, à qui l’on doit donner le loisir d’éclore ; après quoi la fleur se montre et s’épanouit.

Trop d’attention sur la santé des enfants est un autre excès, où tombent plusieurs parents. Un jeune enfant a-t-il la moindre indisposition, on l’accable aussitôt de remèdes et de cordiaux ; et l’on ne fait pas réflexion qu’on ruine son tempérament, qu’on le rend valétudinaire, et qu’on abrège ses jours.

Dans une famille nombreuse arrive un temps où il faut séparer les ménages. Anciennement le célèbre Tchang a vu dans sa maison ses enfants et ses petits-fils jusqu’à la neuvième génération, qui vivaient tous ensemble dans la plus parfaite union : on en parle encore maintenant avec admiration ; mais je doute fort qu’il se trouve de notre temps des gens capables, comme le vertueux Tchang, d’entretenir la paix domestique par l’exemple de leur douceur et de leur patience.

Quand il arrive que les enfants ont chacun leur famille, il faut bien en venir à une séparation ; mais il ne faut pas la faire ni trop tôt, ni trop tard : elle serait également dangereuse, si elle était ou trop prompte ou trop tardive : quand on la fait trop tôt, il est à craindre que de jeunes gens sans expérience, ne connaissant pas la fragilité de la bonne fortune, ni les peines de la mauvaise, ne mènent une vie oisive, ne deviennent des dissipateurs, et enfin ne se ruinent entièrement.

De même si, lorsque cette séparation devient nécessaire, on la renvoie trop loin, on a d’autres inconvénients à craindre, auxquels il n’est pas aisé de remédier. Car supposons que les enfants et les petits-fils soient naturellement sages, et d’une humeur sociable et accommodante, il se trouvera toujours dans la maison beaucoup de femmes et de domestiques. Si l’aïeul ou le père est chargé de fournir à tous les besoins ; de donner les meubles, les ustensiles, les vivres, les habits, et les autres choses, dont chacun voudra être pourvu abondamment, le bon vieillard pourra-t-il suffire à tant de dépenses ? D’ailleurs les uns aimeront à dépenser trop, les autres plus économes s’en apercevront, et en auront du chagrin : quand ils le dissimuleraient, au moins craindront-ils que peu à peu la maison ne