Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/195

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fils, cette jalouse change de personnage : elle se contrefait, en donnant des marques d’une joie feinte : elle se sert des termes les plus tendres, pour qu’on la rappelle : mais son dessein est de lui tendre des pièges, et de la faire périr. Si son stratagème ne lui réussit pas, la rage s’empare de son cœur ; elle crie, elle tempête, elle menace du feu et des accidents les plus sinistres. Un pauvre mari est effrayé, et se rend : il rappelle la mère et l’enfant : bientôt la femme jalouse a recours aux plus criantes calomnies, pour accabler cette faible concubine : elle la frappe, elle la roue de coups, jusqu’à ce qu’enfin on l’ait chassée de la maison.

Pour ce qui est de l’enfant, on dirait à ses manières qu’elle est pleine de tendresse pour lui ; tandis que dans le fonds du cœur elle l’abhorre, et songe peut-être à s’en défaire secrètement par le poison. Si elle en vient à bout, la voilà contente ; et elle ne se soucie pas de se voir réduite à n’avoir point d’enfant, qui puisse la servir et la soulager dans sa vieillesse.

Il y a encore une espèce de méchante femme : ce sont celles qu’un mari a épousées en secondes noces, et qui ne peuvent souffrir la bonne réputation de la défunte à qui elles ont succédé : la rage qu’elles en conçoivent, les porte à perdre les enfants du premier lit, afin que cette première femme si estimée, ne soit pas honorée selon la coutume de l’empire, et qu’on ne pense plus à elle. C’est là un excès d’inhumanité, dont quelques femmes sont capables, et dont on a vu plusieurs exemples dans le monde.

Quand il s’agit de prendre une femme, on ne saurait donc assez examiner si elle est d’un caractère susceptible de jalousie, sans quoi on s’expose à être malheureux. Si l’on est marié, et qu’on n’ait point d’enfants, il faut bien penser, avant que de prendre une concubine, si l’on pourra parer aux inconvénients, qui ont coutume de s’en ensuivre.

Mais celui qui a des enfants de son mariage, s’il fait réflexion aux suites funestes de la jalousie si naturelle aux femmes, fera sagement d’étouffer ses inclinations, ou pour une concubine, ou pour une seconde femme, et de vaincre l’attrait au plaisir par l’amour de son repos et de sa conservation.

On distingue les femmes en grandes et petites, c’est-à-dire, en légitimes, et en celles qui ne le sont pas. Mais il n’y a point une pareille distinction entre les enfants. C’est la grande doctrine de l’empire. Cependant on ne confond point dans l’usage ordinaire les enfants de la femme légitime, et ceux des concubines : c’est ce qui donne à la vraie femme le rang de supériorité sur ses compagnes.

Anciennement l’empereur et les princes de l’empire prenaient sept épouses ; les grands seigneurs, et les mandarins en avaient trois ; les simples lettrés et le peuple n’avaient qu’une femme légitime ; les autres, s’ils en avaient au-delà, étaient censées concubines. On ne manque point, quand on vient à faire mention de sa femme ou de sa concubine, à prendre un air grave, à mesurer ses mots, à parler en maître de la maison, où chacun tient le rang qui lui convient. On veut faire