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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/197

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Autrefois, et ceci est à remarquer, quand on avait jeté les yeux sur un gendre, qui permettait à sa fille de l’entrevoir pour la première fois dans la salle des hôtes à travers un petit trou qu’on avait fait au paravent, placé devant la porte de l’appartement intérieur : dans ce choix on ne regardait pas comme un point capital, d’examiner les huit[1] lettres de bonheur, pour en conclure l’heureux ou le malheureux sort des personnes prêtes à s’unir par le lien conjugal : on examinait si la fille était vertueuse, et si le jeune homme avait de la conduite ; si l’âge, l’humeur, les inclinations convenaient ensemble ; et certainement c’est à quoi on doit uniquement faire attention. On peut ensuite choisir un mois et un jour heureux, pour accomplir le mariage par le rit ordinaire, en faisant boire l’un et l’autre dans la même coupe : pourquoi vouloir ajouter des usages populaires, bizarres, et sujets à mille inconvénients ?

Dès que la cérémonie est finie, c’est l’usage des honnêtes familles, que la jeune épouse se retire dans son appartement, et ne se mêle plus avec le reste de la famille, avec les beaux-frères, ni même avec le beau-père : cependant il s’est introduit presque de nos jours parmi le peuple une coutume détestable, que je défie de trouver dans aucun de nos livres, et qui ne convient qu’à des Barbares nourris et élevés dans les forêts. On diffère de trois jours la séparation de l’appartement, et c’est ce qu’on appelle les trois jours de franchise : et pendant ce temps-là quelles extravagances ne se permet-on pas ? L’épouse est assise sur son lit nuptial. On vient autour d’elle faire cent singeries : l’un lui tire en badinant ses souliers, et on les cache dans sa manche : l’autre lui enlève le voile qui lui couvre le visage : un troisième lui serre la tête, flaire ses cheveux, et s’écrie qu’il en sort un parfum admirable : on en voit qui contrefont les insensés, et qui cherchent à la faire rire par des grimaces et des bouffonneries indécentes : on boit en même temps force rasades : et c’est là ce qu’on appelle se réjouir et se divertir.

Mais qui sont ceux qui jouent ces indignes farces ? Les plus proches parents, le beau-père et les oncles, qui oubliant et leur âge et leur rang, franchissent toutes les bornes de la bienséance et de la pudeur. Ce sont de jeunes étourdis, qui ont donné entrée à ces désordres : c’est aux sages lettrés à en arrêter le cours dans les lieux où ils demeurent : par là ils se feront véritablement estimer dans la secte littéraire, qui est chargée de réformer les mœurs du peuple.

Lorsqu’on observe exactement les rits sur le mariage, on a lieu d’espérer qu’il sera heureux, et que les deux personnes qui s’unissent, feront la joie l’une de l’autre, et parviendront à une extrême vieillesse. Parmi les gens mariés, le discours tombe souvent sur leur noblesse et sur les richesses de leur maison. Il ne convient point qu’un mari recherche trop curieusement quels ont été les parents et les ancêtres de sa femme ; s’ils ont possédé des charges ; s’ils ont mené une vie obscure : ces recherches mettent ordinairement la dissension entre l’épouse et les sœurs du mari.

  1. Coutume superstitieuse de ceux qui disent la bonne aventure.